" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: juillet 2013

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 26



Semaine 26

Mameth était repartie vers Paris la mort dans l'âme de laisser la maison des souvenirs et sa demi soeur Ursule en plan, sur un coup de tête, mais comme à chaque fois, l'insupportable douleur d'une enfance inacomplie, d'un amour incompris, d'une tendresse impossible, l'avait faite fuir de façon irrépressible. Ursule avait juste dit :
- Ah bon ? Déjà ?
Mameth s'était sentie stupide mais il lui était impossible de rester un jour de plus. Il fallait balayer, oublier, se libérer des amarres qui finiraient un jour ou l'autre par l'entraîner vers le fond. L'annonce du mariage de Chloé avait précipité le sentiment de panique. Mameth n'avait pas su aimer sa fille, la rassurer, la porter, la défendre. Dans
le coeur de Mameth il n'y avait pas de place pour une autre femme. Il y avait l'ombre omniprésente de cette jolie petite femme rousse et frêle et charmante vêtue de robes légères et mousseuses dans la moiteur de Saigon. Son rire comme une source alpine en plein cagnat. Il n'y avait qu'elle dans le coeur de Mameth et aucune autre femelle jamais. C'était ainsi à cause du cercueil lustré de chêne clair dans lequel on l'avait
allongée quand Mameth n'était pas plus haute que trois pommes. Les femmes, dans la vie de Mameth, représentaient cette douleur lancinante de la perte essentielle. Il ne fallait pas s'attacher aux filles. Il fallait garder Chloé à distance, à distance de cette douleur possible. Il fallait que Chloé puisse survivre sans Mameth.
Quand Mameth quitta la route départementale et se retrouva sur l'autoroute, elle était persuadée d'avoir au moins réussi ça. Chloé était aussi éloignée de sa mère que Paris de Calcutta. Ce qui avait aussi chamboulé Mameth, c'était d'apprendre que de La Luppa, dans son couvent espagnol allait perdre la boule. C'était donc pour ça qu'il était parti. Pour ne pas être malade auprès d'elle. Ca non plus, Mameth ne savait pas faire. Soigner, dorlotter, compatir. Non, elle avait peur de la maladie comme du diable, de La Luppa avait eu raison de partir. Et puis enfin, il y avait ce mariage programmé à Athènes. Déjà, en soi, le mariage... Chloé qui épousait un indien, un type plus vieux qu'elle, divorcé, un type plein aux as qui sans doute s'offrait un caprice : une jolie petite française brillante qui avait réussi dans la finance, diplomée d'HEC, un parfait petit pur sang capricieux qui souhaitait apprendre à courber l'échine, ce que sa mère c'était bien gardée de lui apprendre. Comment Mameth avait-elle pu mener Chloé jusque là, sans l'ombre d'un doute, d'un remord, d'un regret.
En freinant pour rentrer sur la bretelle d'accès, Mameth murmura au bord des larmes:
- Lucien, mon petit Lucien, tu te rends compte ? Notre amour, entre elle et moi, ne peut passer que par toi, un chat... Elle m'offre un chat, je l'engueule, évidemment, je me mets à t'aimer et ça elle le supposait, quel gâchis tous ces non-dits !... J'aurais tant voulu qu'elle soit heureuse à deux pas de chez moi, avec une belle tripotée de marmaille... j'aurais tant voulu qu'on ne se ressemble pas et qu'on s'aime.
Le téléphone sonna. Mameth répondit. C'était de la Luppa. Il avait toujours le chic d'appeler à des moments critiques.
- Je suis sur l'autoroute. Je rentre à Paris. Oui, je suis au courant. Ursule me l'a dit. Fachée ?... Oui et non. De toute façon on se verra dans deux mois au mariage de Chloé. Ben, c'est sûr que je ne suis pas dans des conditions idéales pour faire la conversation... Dès que je serai à Paris je te rappelle. Prends soin de toi. Je t'embrasse.
Toujours pareil. La Luppa appelait au mauvais moment. Mameth se dit qu'elle n'avait pas eu beaucoup d'instants d'abandon, de connivence, de fulgurence dans son existence...
Il n'y avait eu que ces deux années, après son entrée aux Beaux Arts. Le reste avait été une harmonieuse construction raisonnable. C'est à ce moment là que débutait le roman et c'est là qu'il s'achevait. Une boucle inspirée par ces deux années.
Mameth freina et prit la bretelle qui la conduisait vers l'aire de repos. Elle avait besoin d'ouvrir son sac. D'être sûre que le manuscrit était à l'intérieur. Elle avait besoin de le toucher. Au fond c'est pour ça qu'elle était allée à Mallorca. Pour le retrouver. Pour retrouver la seule histoire d'elle qui soit vraie. Un roman. Des centaines de feuilles qui sentaient le moisi à force d'être restés dans un tiroir de la chambre vietnamienne. "La ligne droite".
Mameth caressa la page de garde sur laquelle le titre avait été tapé sur un vieux modèle de machine à écrire. Les feuilles dans la chemise de papier rose défraîchi pesait lourd. Le poids de la jeunesse, de l'innocence et de l'amour peut-être.


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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 25


Semaine 25

L'été grec approchait. Le camping avait été nettoyé de fond en comble, les sanitaires et les toilettes remis à neuf, la cuisine réaménagée pour un service plus performant. Yannis était fier du résultat. Il attendait les premiers touristes et son caractère changeait de jour en jour, s'ensoleillant au fur et à mesure que les jours rallongeaient et que le temps devenait de plus en plus clément malgré le Meltem qui cette année
soufflait assez fort.
Nous partions tous les jours de bonne heure retrouver l'ouvrier yougoslave qui dormait dans la remise encore à moitié vide, sur un lit de camp. Quand on arrivait au camping sur la moto pétaradante, Yannis se débarrassait de moi dans la cuisine où
attendait, Piotr, le Yougoslave. Il nous attendait assis près de la table où était posée une vieille cafetière électrique qui passait le café goutte à goutte. Elle était réservée à leur usage personnel et datait de Mathusalem.
Les deux hommes discutaient et faisaient le point avant de se servir et d'allumer leur première cigarette. Moi, j'en profitais pour disparaitre à la recherche de Chaussette Blanche que je n'avais plus revue depuis ma catastrophique performance de séduction. Elle restait introuvable. Quand je revenais bredouille et la mine renfrognée le long de la plage jusqu'au petit port, je retrouvais toujours Yannis, une cigarette calée entre l'index et le majeur, qui contemplait le paysage à travers des volutes de fumée.
Un matin, il m'a expliqué que la plage du camping était la plage aux deux visages.
D'un côté, il y a le petit port tranquille avec la jetée faite de rochers et de pierres qui avance dans l'eau, où on se sent paisible et à l'abri du vent et de la vie, un peu mélancolique aussi, sous l'ombre de l'olivier. Et puis à l'autre extrémité, il y a cette plage au sable fin et blanc cernée par les dunes, qui fait la réputation du camping,
inondée de soleil, tournée vers la grande île de Plaxos où on se sent au contraire terriblement vivant et conquérant, découvert, presqu'en danger face au large.
- C'est là que j'ai rencontré mon amoureuse ! lui dis-je.
Yannis me regarda comme s'il avait compris. Il éclata de rire. Comme s'il me répondait et dit à voix basse :
- C'est sur la jetée qui j'ai vu Mameth pour la première fois... ici où pourtant c'est si tranquille, si à l'abri... Qui aurait pu imaginer les choses terribles qui allait suivre ?

Je savais que cette fois encore la chatte aux pattes blanches ne se montrerait pas. Le sommeil me gagna et je voulus m'installer dans ma nouvelle cachette. C'était une belle niche dans le mur qui pour une raison inconnue s'était affaissée il y a quelques jours, à l'extrémité du port. Yannis ne m'avait pas quitté des yeux. Quand il me vit me glisser au milieu des pierres, il arriva inquiet :
- Et où vas tu te faufiler, sacré Bradpitt de mes deux ? Qu'est ce que c'est que ce trou ! S'exclama t-il.
Yannis se mit à hurler pour appeler Piotr.
- Viens voir, Piotr, y a du boulot qui t'attend ici ! Le muret est bien amoché.
Piotr qui bricolait au milieu du camp, arriva sans se presser.
- Du boulot, j'en ai assez comme ça ! C'est quoi le problème ?
Yannis lui montra le mur du doigt.
- Ca doit être le vent et l'orage de la semaine dernière. C'était déjà mal en point mais il ne manquait pas tant de pierres. Il va falloir remonter ça avant l'arrivée des touristes sinon, c'est foutu. Ils vont s'y asseoir quand même et le mur va céder pour de bon sur plusieurs mètres.
- Ok, patron. Je m'y mets tout à l'heure.
Yannis vint examiner de plus près les dégâts. Il me chassa de mon trou et s'accroupit. Il reçut à ce moment là un petit éclat de lumière dans l'oeil. Il passa la main dans le trou laissé par les pierres et la ressortit en tenant une vieille pièce de cinq francs.
- Nom de Dieu ! S'écria-t-il.
Il était devenu livide et restait stupéfait comme s'il avait découvert un lingot d'or. Dans sa tête les souvenirs moulinaient au rythme de ses pulsations cardiaques qui s'étaient violemment accélérées. Le yougoslave était reparti à ses occupations, plus loin. Yannis s'assit en tenant la pièce que miraculeusement le sel et l'humidité n'avaient pas trop attaquée. Il la tournait et retournait dans tous les sens. Et puis une
voix monocorde sortit de sa bouche :
- Mameth va revenir, alors...
Yannis était ému comme un enfant. Presque tremblant. Il resta silencieux, étreint par l'émotion. Puis il se leva et regarda loin devant. La voix de mon maître se renforça :
- Après la nuit que nous avons passée ensemble dans les dunes, nous sommes venus ici au petit matin avant de nous séparer, Bradpitt. Elle était resplendissante. Elle a sorti une pièce de la poche de son short et ayant sans doute repéré une fissure
dans le muret elle y laissa tomber la pièce en disant : "Yannis je fais le voeu que si un jour quelqu'un retrouve cette pièce , je reviendrai."... Tu sais, Bradpitt, après la mort d'Irina et du petit, quand j'étais seul comme les pierres, seul à en crever, je revenais ici
et je me disais que peut-être j'allais la retrouver cette foutue pièce.
Que notre rencontre n'avait pas été seulement une histoire de cul ! Je me disais qu'un de ces quatre, par miracle, elle allait me glisser entre les pieds, cette pièce de cinq francs. Et la voilà maintenant, cette putain de pièce, Bradpitt, maintenant que tout tire à sa fin, maintenant que je suis un vieux. Tu crois vraiment que c'est maintenant qu'elle va revenir Mameth... Je suis foutu de ne même pas la reconnaître.
J'ai sauté sur le muret pour être plus près de lui et je me mis à ronronner en le regardant pour lui faire comprendre que oui, elle allait revenir.
Si, si, Mameth allait revenir. Le voeu allait s'exhaucer. Mais elle ne le savait pas encore. Personne ne le savait sauf moi.


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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 24


Semaine 24

Ronrono m'avait prévenu. Ce qui m'attendait dans ce quartier résidentiel aux apparences tranquilles n'aurait rien de très agréable. Pour commencer je n'avais nulle part où rester serein et tranquille, à part cette cave sombre où je vis l'enfant pour la première fois. Je sortais et faisais les poubelles assez généreuses de la rue et des alentours.
Quand j'avais envie de voir la lumière, je m'installais sur un muret de maison, près du trottoir, de préférence à l'abri des regards, sous un arbuste. Ronrono m'avait fait comprendre que je ne devais pas me faire remarquer. Assez vite, j'eus mal au ventre et des nausées et les puces m'attaquèrent durement. Je perdis le lustrage de mon poil et devint un chat mal coiffé et un peu sauvage. Parfois j'étais agressé par un chien ou un autre chat qui ne me supportait pas sur leur territoire. Je n'avais jamais le dessus et préférais fuir de nouveau dans la cave. J'étais devenu extrêmement prudent, je marchais souvent sous les voitures en stationnement pour passer inaperçu, j'étais devenu l'ombre de moi-même tellement parfois j'avais la trouille, faim et soif.
Mon seul refuge c'était cette cave. J'y dormais, toujours un oeil entrouvert. Le bruit
des pas et des voix au dessus m'inquiétait. La porte de la cave en haut du petit escalier ne s'était plus ouverte depuis la dernière fois où j'avais vu l'enfant et où on s'était effrayé l'un l'autre. L'enfant avait fini par s'endormir sur le lit en fer, recroquevillé comme un escargot dans sa coquille et j'étais resté tapi un peu plus loin toute la nuit jusqu'à ce que la porte s'ouvre à nouveau et qu'une voix de femme glaciale comme un courant d'air polaire, s'exclame :
- Allez, réveille toi et monte. C'est l'heure de l'école.
L'enfant avait bondi et monté les marches sans précipitation. Une fois la porte
refermée, la femme avait crié et le bruit de ses talons s'était précipité avec une grande nervosité.

La porte de la cave resta fermée plusieurs jours, peut-être des semaines. Je n'avais plus la notion du temps. Et puis, un soir que je somnolais sur le lit en fer, la porte s'ouvrit laissant passer un grand flot de lumière électrique.
La voix de la femme était exaspérée, aigüe, toujours glaciale. Elle poussa l'enfant dans l'escalier en s'égosillant :
- Tu n'es qu'une tête de mûle stupide, un mauvais esprit. Jean- Luc a eu raison ! Une bonne raclée va te faire réfléchir. La cave aussi va te faire réfléchir. Descends, espèce d'emmerdeur !
L'enfant arriva. J'eus juste le temps de sauter par terre et de me cacher entre le mur et le lit. Il saignait du nez et sanglotait. Il s'assit en se pressant le nez sans doute pour
que le sang cesse de couler. Il avait les jambes ballantes, le regard vide qui fixait le soupirail devenu un rectangle noir. Il devait avoir six ou sept ans. Beaucoup d'enfants à cet âge là parlent encore chat, mais lui non. Je ne pouvais pas le rassurer, me présenter, lui dire qu'il n'ait pas peur de moi. J'attendais sans bouger.
Soudain l'enfant se mit à grelotter de tous ses membres. Il s'allongea. Mais il se releva
aussitôt et s'assit en tailleur. Il remarqua qu'il ne saignait plus. Il sembla rassuré. Puis soudain on aurait dit qu'il se souvenait de quelque chose. Il gigota et se pencha un peu de tous côtés pour aller voir sous le lit. Nos yeux se rencontrèrent. L'enfant dans un souffle court apeuré demanda :
- Le chat?
Comme il ne parlait pas chat, je me mis à ronronner assez fort.
- Tu es content le chat ? Murmura t-il.
Sans bouger, je continuais de ronronner, plus doucement. Sans que je m'y attende il se remit à pleurer. J'entendais les larmes qui sortaient de ses yeux et coulaient sur ses joues. Il articula dans un sanglot :
- Je ne suis pas méchant, le chat. Je ne suis pas méchant.
J'aurais voulu pouvoir lui dire que je le savais. Que je savais que les méchants
marchaient là-haut, au dessus de nous. Mais je ne pouvais rien faire d'autre que ronronner et rouler des yeux tendres. L'enfant s'assit sur le bord et passa de nouveau la tête sous le lit pour me voir. Je lui fis mon plus beau sourire et à mon grand étonnement ça marcha :
- Je ne suis pas méchant tu sais le chat. Viens !
L'enfant tendit le bras et vint me caresser entre les oreilles.
- On est ami le chat?... Je ne suis pas méchant.
Je ronronnais comme le moteur d' un réfrigérateur. Je me dis que c'était le moment de me rapprocher. Je vins m'allonger comme un sphinx contre sa cuisse droite. Il m'attrapa alors maladroitement et me posa sur ses genoux en continuant de me caresser. On resta comme ça très longtemps.
Jusqu'à ce qu'il couche son buste sur le coté et étire ses jambes pour dormir. Il m'avait gardé contre lui. Il allait fermer les yeux quand soudain il marmonna :
- Le chat, le chat, faudra partir demain avant que la porte s'ouvre.


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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 23


Semaine 23

La file des passagers du vol en provenance de Paris-Charles de Gaulle se clairsemait. Onaké attendait. La Salles avait tout prévu. Sa prise en charge dès l'embarquement à Roissy, son voyage en première classe et son transfert à son arrivée à Tokyo. Il reconnut tout de suite Onaké et lui fit un signe en levant le bras. Elle lui répondit de la même façon. Elle retint ses larmes. La Salles était amaigri, le teint jauni, et l'expression de son visage portait déjà les crispations de la souffrance. Ce n'était plus l'homme qu'elle avait vu la dernière fois à Paris, un peu rondouillard, le visage tendre et avenant avec ses lunettes rondes à la Marcel Achard. Ce n'était plus l'homme qui se penchait tendrement vers elle pour écouter ses confidences. Elle se souvenait de lui, la première fois qu'elle le vit à Pleyel en présence de son père. Elle avait dix sept ans, beaucoup d'espérances et beaucoup de peur et il la mit tout de suite en confiance. Il lui fit visiter le théâtre de fond en comble, les invita à déjeuner dans une grande brasserie du côté de l'Elysée et quelques jours plus tard à diner dans son appartement de la rue de Rivoli.
Il fut un excellent imprésario, attentif et exigeant. Le père d'Onaké l'appréciait beaucoup et comme s'il pressentait qu'il n'accompagnerait pas longtemps la carrière de sa fille, il avait souvent dit à Onaké qu' elle pourrait faire confiance à La Salles :
- C'est un homme de goût, exigeant et patient, ma chère Onaké. Un homme de qualité. Et c'est rès rare de nos jours dans ce monde de requins qui ne pensent qu'à s'en mettre plein les poches sur le dos de jeunes interprètes comme toi. Si un jour je ne suis plus là pour te guider, il sera toujours un ami précieux de bon conseil. Et je crois qu'il éprouve à ton égard une réelle tendresse.
Deux ans après, une crise cardiaque terrassait Mr Kikoni et c'est le Kolonel qui reprit le flambeau. La Salles comprit vite que la vie d'Onaké allait beaucoup changer et que sa carrière et son talent étaient menacés. La mère d'Onaké, qu'il avait lui même surnommé le Kolonel tant elle était tatillon, autoritaire et froide, pesait sur sa fille plus qu'elle ne l'épanouissait. La Salles essayait du mieux possible de protéger Onaké
de cette furie jalouse du talent de sa progéniture. Mais Onaké voyageaitaux quatre coins de la planète et son influence était limitée. Peu à peu Onaké devint une bête de scène, faisant la une des magazines, salle comble et d'infernales tournées. La catastrophe n'était plus très loin.
Quand Onaké disparut un beau matin sans laisser d'adresse, La Salles fut surpris, consterné, mais au fond très heureux. Même si la musique perdait une très sensible interprète, douée et fantasque, Onaké avait réussi à se sortir des griffes de sa mère qui la conduisait lentement vers une folie certaine. C'était l'essentiel. Les journaux avaient repris de plus belle leur farandole quand Onaké avait bizarement choisi de tirer sa révérence aux salles de concert. Des bruits abracadabrants sur les raisons de son départ avait couru, des révélations sur son état de santé chancelant faisaient jaser la jet-set et puis elle avait été assez vite envoyée aux oubliettes.
A cette époque là, La Salles avait eue sur le dos plusieurs fois par jour le Kolonel au bord de l'implosion mais il n'avait jamais fait un geste pour faire revenir Onaké. Et
maintenant, plus d'un an après, elle était là, incognito, dans la foule tokyoîte à attendre celui qui allait mourir. La Salles pensa à cette maxime latine qui le fascinait depuis l'enfance car dès son plus jeune âge il avait été un fan de péplum : Morituri te salutant.
Donc le plus naturellement du monde, quand Onaké le serra dans ses bras, c'est cette phrase latine qui lui murmura. Il savait, depuis qu'il l'avait vu la première fois, que s'il avait aimé les femmes, c'est elle et elle seule qui l'aurait aimé. Onaké qui connaissait sa passion pour la Rome Antique lui répondit tendrement :
- Bienvenue dans mes bras, cher gladiateur, explosant en larmes chaudes irrépressibles dans son cou malingre.
La Salles ne dit rien mais pensa que mourir près d'elle serait un peu comme dans les films de sa jeunesse, mourir pour César. C'était une belle mort.

 

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