" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: janvier 2014

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 48


Semaine 48

Depuis que Roger s'était installé dans la chambre de bonne perchée au huitième étage de l'immeuble, ma vie et celle de Mameth avait beaucoup changé.
D'abord Roger avait été invité à venir prendre le petit déjeuner et tous les matins il arrivait rasé de près, en jean et en sweat, ses cheveux gris bouclés un peu en bataille. Il avait pris le temps de passer à la boulangerie et d'apporter une baguette de pain frais et le journal Le Parisien. Mameth ne l'avait pas remercié mais lui avait conseillé de garder le peu d'argent qu'il avait.
- Ici, il y a des biscottes, et le journal c'est pas indispensable. J'ai un "gratuit" quand je prends le métro.
Roger s'était contenté de répondre qu'il lui devait bien ça. Il ne se bilait pas des ruades de Mameth. Dès qu'elle avait le dos tourné, il prenait énormément soin de moi. Il remplissait ma gamelle de croquettes et changeait l'eau de mon bol. Puis il me parlait de son chien, tragiquement mort sous les yeux de Mameth et les siens. Il disait qu'il
fallait vénérer sa mémoire un peu chaque jour. Je me disais que si je mourrais, Mameth ne se donnerai pas tant de mal.
Il avait été convenu qu'après le petit déjeuner, quand Mameth quittait l'appartement
et elle avait tout le temps la bougeotte, Roger pouvait disposer de la salle de bain. Avant de donner cette permission, Mameth avait testé les qualités de Roger. Il débarrassait la table, ramassait les miettes, rangeait la vaisselle dans le lave-vaisselle, rinçait la théière et rangeait le reste de pain dans la corbeille. Une vraie petite fée du
logis. Mameth s'était dit qu'il valait mieux que Roger sente bon et sa chambre ne disposait que d'un lavabo d'eau froide. Un matin, elle lui avait donc proposé d'utiliser sa douche. Elle était à peu près sûre de retrouver l'endroit encore plus nickel qu'elle le lui avait laissé.
Ensuite Roger avait été convié au repas du soir quand Mameth était seule. Et puis un jour, Roger fut convié au repas d'amis. Roger s'entendit à merveille avec Jean Poitevin, le copain homo de Mameth qui habitait Fronton. Il s'avéra que Roger était aussi originaire du Sud Ouest. C'était une franche amitié, Roger ne semblant pas très porté sur le sexe. Il n'était pas plus attiré par Nicole Burette, la prof, qui l'agaçait plutôt. Elle se plaignait trop souvent. Et puis il sentait bienque Mameth, bien qu'elle le traitât comme la cinquième roue du carosse,ne supporterait pas qu'il s'intéresse à Nicole. Bientôt, Roger était dans l'appartement comme chez lui, autorisé à aller et venir comme bon lui semblait. Il avait un trousseau de clés et rendait des tas de menus
services. Mameth lui laissait souvent la liste des courses et un billet de vingt euros, elle lui demandait de faire une machine de linge sale ou de passer récupérer des vêtements chez le teinturier. Il servait d'homme à tout faire mais loin de l'offenser, Roger portait Mameth au pinacle. Elle lui avait évité le pire : la rue, la déchéance. Il devait se montrer à la hauteur. Et puis il aimait la forme de générosité de
Mameth. Instinctive mais certainement pas pavée de bonnes intentions.
Unsoir de repas en tête à tête, Mameth demanda à Roger s'il avait le permis de conduire. Il répondit que oui. Mameth lui proposa, si ça le tentait, de l'accompagner dans le Sud voir sa soeur et faire quelques travaux dans la maison de famille qu'elle possédait à Mallorca, un village perdu au fond d'une vallée près de la frontière espagnole. Roger n'eut pas l'air surpris. Il trouvait tout à fait normal de prendre de
plus en plus de place dans la vie de Mameth puisque depuis le début, il
ne cherchait qu'à lui plaire.
- Ca me ferait très plaisir, Madame Mameth.
- Je vous l'ai dit cent fois, appelez moi, Mameth.
- J'ai du mal, Madame Mameth.
Il fallait bien que Roger ait des défauts.
Cettefois on ne me laissa pas seul dans l'appartement à attendre que Nicole Burette ou quelqu'un d'autre vienne me nourrir. Roger proposa de m'amener.
Mameth dit que ça allait perturber le voyage déjà long et ennuyeux mais Roger insista. Il s'occuperait de tout. Mameth céda.
On partit un mardi matin plein de soleil et je me sentis heureux comme je ne l'avais pas été depuis bien longtemps.



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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 47


Semaine 47

Depuis l'arrivée de Chloé, Yannis Pantapoulos dormait encore plus mal que d'habitude, buvait deux fois plus de café et fumait cigarette sur cigarette. Chloé avait loué un studio sur le port mais déjeunait tous les matins au café où lui aussi venait siroter un frappé sans sucre et sans lait en attendant l'arrivée du bateau qui déversait une partie de sa clientèle. Dans le village les mémoires s'étaient réveillées. La jeune femme rousse en rappelait une autre qui avait fait des ravages quarante ans plus tôt. On se demandait qui elle pouvait être et si le ciel, avec sa venue, ne voulait pas annoncer le retour d'une nouvelle catastrophe imminente. Mais on restait circonspects et on la servait correctement car elle était une touriste qui ne comptait pas à la dépense. Elle laissait des pourboires généreux et vivait simplement.
Elle sortait peu le soir et ne fréquentait ni les bars, ni les boîtes de nuit. Elle dînait tard dans les meilleurs restaurants de l'île et prenait son temps pour manger. Elle traînait à table, le téléphone à l'oreille. Si elle n'avait pas été rousse et belle comme celle qui avait précipité la femme de Pantapoulos et son fils dans les profondeurs de
la mer, elle aurait été la touriste parfaite qu'on aurait choyée plus que de raison.
Yannis se faisait un devoir de faire semblant de rien. Il continuait d'aller boire son café frappé et descendait la rue avec moi, raide comme la justice. Il sentait bien que les regards qui jusqu'alors le fuyaient, le fixaient maintenant avec une haine ravivée sous la visière des casquettes mais il faisait celui qui ne se rendait compte de rien. Ce matin il avait pris une décision qui risquait de mettre le feu aux poudres. En enfilant son pantalon et en ajustant les bretelles il me marmonna, la cigarette au bec:
- Je vais lui parler, Bradpitt. Je vais lui demander d'où elle vient et lui dire qu'elle me rappelle quelqu'un. Tantpis s'ils veulent me tuer après. Je les emmerde.
- Mais s'ils te tuent, que vais je devenir ? Ils vont m'étriper aussi ! Pensai-je
Comme s'il m'avait entendu, Yannis, mon maître poursuivit :
- Tu te cacheras au camping s'il m'arrive quelque chose et le yougoslave te donnera à manger. Si tu sais y faire avec lui, il t'emportera dans son foutu pays..
- Oui maître, répondis-je.
Je sortis avec lui et descendis la rue principale le plus digne possible pour lui faire
honneur. Je l'aimais, Pantapoulos. Arrivés au café du port on s'installa à notre table habituelle. Costa, le patron, ne nous décrochait plus un mot. C'était la fille de salle qui apportait le café à Yannis. La fille de Mameth arriva un peu plus tard que d'habitude. Elle avait l'air un peu chiffonné de quelqu'un qui a mal dormi. Il commençait à faire très chaud. L'été grec s'installait comme une couverture de plomb au dessus de l'île. Passé dix heures de la matinée, il fallait se réfugier dans les maisons, volets clos, ou s'abriter entre deux baignades sous les tamaris de la plage qui cernaient la baie de sable. Chloé vint s'assoir derrière nous. La serveuse arriva immédiatement pour prendre sa commande. Costa n'en perdait pas une. Il avala de travers quand il vit
Yannis Pantapoulos se retourner et incliner le torse vers la jeune femme qui sourit.
- Yannis Pantapoulos dit il. Je suis le propriétaire du camping. Nous avons les mêmes goûts. Vous venez ici tous les matins, comme moi.
Il écrasa sa cigarette et lui sourit.
- Oui, répondit Chloé en anglais. Ca me calme de regarder la mer et les allées et venues des bateaux.
- Vous n'êtes pas anglaise, n'est ce pas?
- Non, française.
- Ah ! soupira Pantapoulos qui en était sûr. Et de quel coin?.. Je vous ennuie avec mes questions ?
- Pas du tout. En fait je ne vis pas en France. J'étais en Inde avant d'arriver en Grèce.
- Ah ! soupira encore Yannis qui perdait pieds et ne savait plus quoi demander.
- C'est un drame qui m'a amené ici continua Chloé. L'homme que j'allais épouser a été tué dans un attentat, la veille de notre mariage.
Yannis alluma une cigarette en disant :
- Vous permettez ?
- Oui, oui. Dit-elle. C'est ma mère qui m'a dit de venir ici. J'étais sur une autre île où nous devions nous marier.
-Je vois, coupa mon maître. Vous deviez épouser le riche indien qui a fait construire un palace tout écolo sur Kifinos? J'ai lu ça dans le journal. Il y avait votre photo. Et votre mère comment se fait-il qu'elle connaissait Soros.
- Je crois qu'elle y est venue très jeune et qu'elle s'était bien amusée. Mameth était une jeune fille délurée pour l'époque.
- Mameth ? Murmura Yannis, les yeux perdus dans la mer. Mameth ? Elle s'était bien amusée... si elle savait.
- Oui c'est le prénom de ma mère. Un prénom bizarre.
- J'ai connu votre mère, vous savez. Je l'ai même bien connue. Elle était au camping. Vous lui ressemblez beaucoup.. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, venez me trouver au camping. J'y suis presque nuit et jour. Ou ici tous les matins avant l'arrivée du bateau. Mademoiselle  c'est un bonheur de vous avoir rencontrée...
Mon maître se leva. Je m'étirais pour m'apprêter à le suivre quand Chloé me vit.
- Je crois que j'ai offert exactement le même chat à ma mère. En fait je suis une vilaine fille peut-être en train de payer très cher mon indiscipline et mon insolence !
- Vous ne payez rien du tout, mademoiselle. Et puis ce n'est pas à vous de payer quoique ce soit !
Yannis s'inclina et lui baisa la main qu'elle tendait.
- A bientôt, j'espère ! Dit mon maître en partant. A demain !
- Oui ! Répondit Chloé qui n'avait pas tout compris. Son anglais grec peut-être ?
Yannis fit monter dans sa camionnette quatre jeunes hirsutes qui avaient sans
doute passé la nuit sur le pont d'un ferry en provenance d'Athènes.
Il se tourna vers moi. J'étais assis sur le siège du passager.
- Tu vois, elle est revenue. Elle a envoyé sa fille. C'est pareil. On dirait que la boucle est bouclée, Bradpitt. Pauvre petite. Pourquoi le ciel lui a demandé de payer à elle ? Hein ? Elle n'y est pour rien dans tout ce qui s'est passé.


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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 46


Semaine 46

Sébastien était maintenant assis sur le lit de la cave. Il était en pyjama et en chaussons. Il était arrivé au milieu de la nuit. Je m'étais demandé qui ouvrait la porte avec tant de précaution. Aucune lumière ne passait par la fente de l'ouverture. Je vis alors l'enfant, seul, se faufiler et descendre.
- Ah, le chat, tu es là. Je voulais tellement te dire. Sans doute je ne vais plus venir dans la cave. Jamais. A cause de toi. Fallait que je te prévienne. J'ai attendu qu'ils dorment tous. Et puis même s'ils se réveillent, ils n'oseront pas me taper. Tu sais l'autre fois, quand la directrice est venue à la maison et que tu as miaulé très bizarrement. La directrice, elle a entendu. Alors quand je suis revenu à l'école, elle m'a fait venir dans son bureau. Un docteur m'a examiné. Puis après je suis resté seul avec elle. Elle m'a dit
qu'elle m'avait entendu crier dans la cave. Que je n'étais peut-être pas chez ma grand-mère comme le disait ma mère. J'ai dit que non, que c'était pas moi qui avait crié. Que c'était toi, Le Chat. Elle m'a demandé qui tu étais et comment je t'avais connu. Au début, je ne disais pas vraiment la vérité, mais elle m'a dit que je pouvais tout lui dire et qu'elle ne répèterait rien. Ni à mes parents, ni même à la maîtresse.
Alors je lui ai dit que je te rencontrais la nuit. Il a bien fallu que je dise que je descendais dormir dans la cave, quand j'étais puni. Elle m'a tiré les vers du nez et j'ai fini par lui dire que j'étais souvent puni dans la cave et que la dernière fois, Jean-Jacques s'en était mêlé et qu'il m'avait frappé parce qu'il croit que je mens tout le temps. Mme Sabler, la directrice, m'a demandé pourquoi je mentais. Que ce n'était
pas bien de mentir. Mais j'ai dit que je ne mentais pas que c'était les jumelles qui mentaient. Après elle m'a dit qu'elle allait faire sa petite enquête parce que ce n'était pas du tout normal que je passe la nuit dans la cave. Elle allait être obligée de dire mon secret à ma maman et voir avec elle comment régler ça. Les enfants doivent dormir dans une chambre et dans un lit. Des fois en temps de guerre ou de choses
terribles ça pouvait arriver qu'on se mette dans une cave pour dormir, mais pas en ce moment. Il n'y a pas la guerre et mes parents ne sont pas miséreux.
J'ai fait signe que oui de la tête. Cette dame avait tout à fait raison. L'enfant a repris son souffle et a continué.
- Après maman et Jean-Jacques ont rencontré aussi Mme Sabler et l'assistante sociale. L'assistante sociale est venue à la maison et a demandé a voir la cave. Tout était bien pareil comme je l'avais dit. Il y avait le vieux lit en fer caché sous l'escalier et la couverture qui pue dessus. Je suis parti pour de vrai chez ma grand-mère. Et peut-être que je vais y vivre jusqu'à ce que je sois grand chez Mamie Odette. A
moins que j'aille ailleurs. Enfin, je ne vais plus te voir. Je t'aime pourtant tellement Le Chat !... Est ce que tu crois que tu pourrais venir me rendre visite chez Mamie Odette ? C'est très loin. Il faut prendre l'autoroute. Mais j'ai entendu dire que des chats faisaient des kilomètres pour retrouver leur maître. Je suis un peu ton maître, hein,
Le Chat?
Pour la seconde fois je fis signe que oui de la tête.
L'enfant me serra contre lui. Il pleurait silencieusement et je sentis une larme me tomber sur les moustaches. C'est alors qu'il arriva un truc dingue. Ronrono Chapati descendit par le soupirail, s'étira et sa silhouette avantageuse se détacha dans la nuit.
- Un guépard ! S'exclama l'enfant.
- Non, dis-je, c'est Ronrono, mon maître. N'aie pas peur.
- Mon petit, dit Ronrono, en fixant l'enfant de ses yeux perçant et dorés comme de l'ambre , Le Chat, de son vrai nom Lucien, a réussi sa mission et ton voeux sera exaucé. Tu reverras Le Chat.
- Maître vous êtes trop....
Je ne finis pas ma phrase. Ronrono avait disparu.
- Le Chat, j'ai vu, un guépard qui parlait ! Il m'a dit qu'on se reverrait tous les deux! Tu l'as vu aussi ? Je te jure c'était un vrai !
Je me suis mis à ronronner et à me frotter contre la cuisse de Sébastien.
L'enfant me caressa entre les oreilles et en m'embrassant sur la tête me
murmura :
- Le Chat Lucien, tu es la meilleure chose au monde qui me soit arrivé ! Ne me quitte jamais.


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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 45



Semaine 45

Depuis un mois, Guillaume passait d'un hôtel à l'autre, de taxis en aéroports. A peine revenu du Japon, il était parti à Calcutta et maintenant il s'apprêtait à rejoindre Venise.
François La Salle était mort, entouré par les moines et Onaké. Je suis resté contre lui jusqu'à ce qu'il rende l'âme. Onaké lui rafraichissait le front avec une potion mentholée et le moine Gio lui caressait les mains et massait de temps en temps ses doigts. François regardait, sans voir, l'assistance attentionnée autour de lui. Il respirait sans difficulté, calmement. Il souriait, apaisé, sans doute, par la piqûre faite quelques heures avant. Et puis il voulut se redresser subitement et murmura :
"Je m'en vais mes amis".
Le sourire quitta son visage, les yeux restèrent fixes. La Salle venait de mourir très simplement et très discrètement, comme il avait vécu. Je descendis du lit comme une bombe. Il fallait laisser place nette sur le lit pour que l'espace temps avale son âme correctement et aille la déposer intacte dans la galaxie et les lieux de son choix.
Le moine Kitashiba annonça :
- C'est fini, Onaké. Ton ami est parti rejoindre ses ancêtres.
Onaké avait les larmes aux yeux et tremblait légèrement comme du temps de la
maladie qui l'avait empêché de jouer. Kitashiba fit un signe du menton en direction de Gio. Le jeune moine alla poser ses mains sur les épaulesd'Onaké qui sursauta et se calma rapidement.
- Je me sens si seule. Ma vie est un désert que la musique bat comme un vent de tempête continue. Si seule.
- Dans les moments douloureux nous sommes, tous, seuls, Onaké. Je suis seul au milieu des moines, François était seul parmi nous, Gio est seul quand il te regarde. Les hommes un peu exigeants sont souvent seuls devant la beauté et la cruauté de la vie. C'est bien pour ça qu'ils font l'effort de vivre ensemble. Nous sommes là, Onaké, comme nous avons été là pour François. A toi de t'emparer de ce que nous pouvons t'offrir, c'est un très bon remède. Et toi, tu es là pour nous, pour nous rappeler le monde du dehors, le monde des belles choses inaccessibles, ce monde à qui nous avons tourné le dos mais qui nous appelle toujours dans le silence de nos prières.
Onaké se pressa dans les bras de Kitashiba qui la serra très fort en respirant son parfum de femme fleur.

Trois jours plus tard, Onaké s'envolait pour Venise avec les cendres de La Salle. Elle attendit que l'avion de Guillaume en provenance de Paris se pose. Elle l'attendait dans une salle d'attente, le corps un peu endolori à cause de la fatigue, ce qui émaciait davantage l'ovale de son visage qui apparaissait dans toute sa pureté. Onaké attendit une bonne heure avant que Guillaume ne se présente dans le hall de la salle d'attente presque vide. Il s'arrêta et la chercha des yeux. Elle leva le bras et agita sa main. Il lui sourit. Il ne comprit pas encore pourquoi, en la voyant, sa fatigue et la fureur toujours présente de la foule indienne venaient de se calmer d'un coup. C'est quand il fut dans
le bateau taxi qui écumait l'eau plate de la lagune, quand une envie irrésistible de prendre Onaké dans ses bras, qu'il devina ce qui se passait. Elle se tourna vers lui et planta ses yeux fendus dans les siens. Guillaume se pencha et embrassa Onaké avec une précaution et une tendresse infinie. Une précaution et une tendresse que depuis toujours tout le monde lui avait refusées, à lui, le garçon doué et plein de vigueur.


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