Semaine 69
De retour à Paris, Mameth mena les affaires rondement. Elle invita ses
amis pour les mettre au courant de ses projets. C'était la
consternation. Pour Nicole, carrément l'effondrement. Mameth était un
remontant exceptionnel bien plus efficace que toutes ses granules
homéopathiques ou ses barettes de Lexomil et autres Valium. Le Vietnam
ce n'était pas la porte à côté. C'était un autre monde. Le téléphone ne
servirait à rien. Comment parler de la proximité dégoûtante dans un bus
bondé suivie d'une entrée à reculons dans une classe déjà surexcitée et
bruyante. Comment ? Mameth oubliera très vite la vie parisienne et ses
excès. Elle en rencontrera d'autres et tirera un trait sur sa vie
d'avant. Nicole était au bord des larmes. Elle sentait sa dépression
chronique prendre le pas sur la bonne humeur qui avait éclairé sa
journée à l'idée de ce repas convivial.
- Et toi, Jean, tu ne dis rien ? dit elle en suffoquant.
- Qu'est ce que tu veux que je dise ? Mameth est une grande fille. Si elle pense que c'est mieux pour elle de mettre la clé sous la porte, nous n'avons rien à dire. Les repas, ici, me manqueront, c'est sûr !
- Ah! Quand même !
Mameth ne bronchait pas. Elle avait l'impression de les avoir quittés déjà depuis longtemps. Elle les avait quittés quand la jeunesse s'en était allée. Quand les soirées déchirées en boîtes qui se finissaient au petit matin devant une soupe à l'oignon, du côté des halles, n'avaient plus été au programme. Quand on avait remplacé l'insouciance des rencontres inopinées au comptoir d'un café parisien à la mode, par des rendez-vous au théâtre, des dîners en ville et autres placebos qui semblaient fonctionner pour les autres mais très peu pour Mameth. Mameth s'était alors mise à revoir ses amis comme les membres d'une famille indispensable, sans illusion et sans curiosité. Elle était devenue la confidente, celle qui encaisse tout, la conseillère de Jean et Nicole. Personne n'imaginait à quel point elle était triste et paumée d'avoir perdu ses vingt ans irréfléchis, leur folie et leur extravagance. Personne ne se doutait que Mameth n'avait pas beaucoup vieilli et que là où les autres se faisaient une raison, elle ne s'en faisait toujours pas et pestait d'être atrocement suspendue dans le vide, perchée aux branches de la nostalgie qui ne la quittait pas.
Mameth n'avait pas pu
mûrir, vieillir, et elle était devenue un fruit bizarre qui faisait
envie mais n'avait presque plus de goût. Le seul qui avait découvert qui
était Mameth, c'était Roger. Il se taisait devant elle parce qu'il
comprenait qu'on ne console pas quelqu'un comme Mameth. On la laisse
aller, se dire et contredire et au détour d'un chemin, on découvre
quelque chose d'incroyable qu'on ne pensait plus pouvoir saisir chez
quelqu'un de son âge. Un extrait de pure jeunesse. De l'essence rare
d'enfance intacte.
Guillaume n'avait pas été
étonné. Il savait que Mameth avait des accès imprévisibles. C'est pour
ça que Mameth l'aimait. Pour lui Mameth ruait encore une fois dans les
brancards, sans doute bouleversée par quelque chose qu'elle,seule,
savait. C'était à son avis la réaction d'un humain encore en état de
marche. Il l'avait aidée à trouver un conseiller en patrimoine et lui
avait parlé de ses projets à lui. Il allait sans doute s'installer et
vivre avec Onaké. Il la lui présenterait avant qu'elle ne parte. Elle ne
lui plairait pas vraiment parce qu'elle était beaucoup trop réservée et
silencieuse. Mameth aimait seulement les femmes bruyante et couillues.
C'est pour ça qu'elle ne s'entendait pas avec Chloé. Sa fille n'était
pas un mec en jupon, ni une barbie super-star, c'était une femme d'une
espèce que sa génération n'avait pas connue, une universitaire sexy, une
diplomée décomplexée, une fille qui ne parlait pas fort mais qui disait
ce qu'elle avait à dire. Un oiseau que Mameth aurait aimé être. Mais
Mameth était un bonzai qu'on avait taillé et retaillé et qui n'avait pu
faire fleurir qu'une féminité naine et trafiquée. Chloé avait poussé
librement pendant que sa mère se déhanchait sur les pistes de dance
disco.
Chloé ne parut pas contrariée par le
départ de sa mère. Elle ne parla de rien la concernant. Elle jugea que
ce n'était pas le moment. Elle se contenta de poser une question, une
question qui hérissa Mameth. - Tu pars seule ?
- Non. Je pars avec Lucien et Roger.
Chloé éclata de rire. Mameth se raidit. Elle aurait dû dire oui. Oui je pars seule.Chloé sentit la blessure.
- Je ris parce que moi j'aurais dit je pars avec Roger et Lucien, mais bon... Je ne savais pas que le chat comptait autant ....
- Tu sais si peu de choses, coupa Mameth. Et toi ? Tu ne vas pas passer ta vie dans cette île quand même ? Tu ne vas pas accoucher là bas....?
- Non. Je te raconterai quand je te verrai. Je serai à Paris avant ton départ. Ne t'inquiète pas. Pense plutôt toi. Je t'embrasse.
Mameth raccrocha. Roger leva le nez du journal.
- Vous allez bien Mameth?
- Non. Ca ira mieux quand je serai loin.
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