Lundi Clafouti du 16 juillet : la vie est un poème
Photo Claude Degoutte |
La vie est un poème
Il est une heure exquise à l'approche des soirs
Quand le ciel est empli de processions roses
Qui s'en vont effeuillant des âmes et des roses
En balançant dans l'air des parfums d'encensoirs...
Je revois une classe aux grandes baies vitrées donnant sur une cour, un pupitre posé au milieu d'une estrade, le grand tableau noir derrière. J'entends mon nom appelé par la voix particulière de mon prof de français. Une voix à la fois aigüe et un peu rocailleuse. Mme Baudis a les cheveux blancs neigeux, tirés et attachés en chignon banane. Elle porte souvent un chemisier en soie imprimé et une jupe blanche. Sa corpulence, sa coiffure, ses lunettes cerclées de noir, rien n'invite à la décontraction. Et pourtant en ce jour de contrôle de poésie, j'arrive légère et dilettante. J'ai peu de mémoire. Retenir des suites de mots me demande une discipline de fer souvent mise de côté. Je ne connais q'un seul poème. La Fontaine, Musset Lamartine et autres pointures peuvent aller se faire voir ailleurs. J'ai fait l'impasse. Ce sera le poème libre ou rien. Quand j'arrive devant l'estrade, j'ai une chance sur six de tirer le bon papier plié en quatre. Il m'arrive d'avoir de la chance...
"Je vous écoute". Je tends le petit papelard... Jean de
la Fontaine! Je récite les deux premiers vers et je m'arrête. La prof
me regarde. Silence total dans les rangées de tables. L'inexplicable se
produit. Une des meilleures élèves de la classe n'apprend pas ses
poésies. Mme Baudis regarde par dessus ses lunettes et me propose
froidement contre quelques points en moins de tirer un autre papier. Une
chance sur cinq. Cette fois, c'est Lamartine. J'en sais un peu plus
long, une strophe ou deux, mais inutile de faire perdre du temps à tout
le monde. J'annonce la couleur. Je n'en sais qu'un seul par coeur, c'est
le poème libre. Les yeux par dessus les lunettes fulminent. Ils
demandent des explications à cette suffisance. Je n'ai rien à répondre.
Je repars avec un zéro, note qui me prive des félicitations sur le
bulletin du second trimestre. Ca n'a aucune importance. Ce qui me navre
le plus, c'est que personne n'a entendu ce poème mineur qui me
ravissait, le seul que j'avais jugé digne de mes terribles efforts. Le
seul que quarante ans après je peux encore énoncer, un soir après la
plage. Celui qui dans ces années droites, sévères et guindées, criait ma
révolte, ma désobéissance, mon adolescence, ma fougue, celui qui disait
les chemins incontrôlables que j'allais choisir :
Alors tout s'avivant sous les lueurs décrues
Du couchant dont s'éteint peu à peu la rougeur,
Un charme se révèle aux yeux las du songeur :
Le charme des vieux murs au fond des vieilles rues.
Alors tout s'avivant sous les lueurs décrues
Du couchant dont s'éteint peu à peu la rougeur,
Un charme se révèle aux yeux las du songeur :
Le charme des vieux murs au fond des vieilles rues.
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