" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: 2013

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 44




Semaine 44

Guillaume avait tenu Mameth au courant de ce qui se passait depuis la mort d'Andy. Il avait assisté aux obsèques et avait représenté la famille. C'est ce que l'avocat de sa soeur avait conseillé de faire, d'autant que Chloé était enceinte. C'était lui, l'avocat, qui avait été le premier au courant que Chloé portait un enfant de son défunt mari.
Pendant des heures, malgré la fatigue et le chagrin de sa cliente Maitre James n'avait rien lâché pour qu'elle conserve ses avantages au sein du groupe dirigé par celui qui devait devenir son mari. Elle y était employée depuis cinq ans comme une des conseillères financières du consortium hôtelier et devait le rester. Sa situation serait difficile àdéfendre, les lois ne ménageant pas les femmes. D'un autre côté les femmes de pouvoir indiennes qui avaient fait leur preuve pouvaient parfaitement s'en sortir. Le seul hic, c'est que Chloé était une étrangère et que le mariage n'avait pas été prononcé. Devant toutes ces incertitudes et les probables difficultés, Chloé avait cru bon annoncer son état. Il fallait dès à présent protéger l'enfant à venir et faire
admettre qu'Andy était le père, ce qui ouvrirait de délicates discussions de droits de succession. Les procès seraient sans doute inévitables contre la famille d'Andy.
Mameth avait beau avoir un caractère bien trempé, toutes ces histoires l'empêchaient de bien dormir comme d'habitude. Je remarquais qu'elle ronflait bien plus souvent et dans son sommeil souvent elle m'appelait et me demandait si j'entendais ce qu'elle me disait :
- Tu m'écoutes Lucie? se mettait elle à articuler lentement comme si elle était ivre.
- Ben non maitresse j'entends rien !
Mais ma réponse n'avait pas l'air de la pertuber beaucoup. Elle continuait ses borborygmes et ses ronronades;
Un matin au petit déjeuner son portable sonna. Il sonnait beaucoup depuis la bombe. Mameth décrocha nerveuse. Elle aurait voulu boire son café tranquille.
- Allo, j'écoute !
- C'est Roger avec qui vous étiez en garde à vue.
- Ah! Bonjour, Roger. Je vous ai dit l'autre jour que j'étais très occupée à cause de tout le malheur qui est tombé sur le dos de ma fille et que je n'avais pas le temps de me préoccuper d'autre chose.
- Je sais Madame Leventre. Mais moi aussi j'ai une catastrophe qui me tombe sur le dos.
- Personne n'est à l'abri mon pauvre Roger. Personne.
- Je suis à la rue depuis trois jours.
- Ah zut !... Et alors ?
-Ben j'ai pensé que vous accepteriez peut-être que je passe chez vous, me laver et boire un bon café, histoire de me redonner un peu le moral.
- Franchement, ça va pas être possible Roger. En ce moment je ne vais pas très bien et j'attends ma soeur.
- Bon, bon, je comprends. Portez vous mieux madame Mémeth et à la prochai...
- Eh, Roger attendez voir !... Mameth avait toujours été ému par les gens qui lâchaient prise facilement. Par les perdants d'avance. Elle s'exclama.
- Je pense à truc. J'ai une chambre de bonne au 8ème. Ca me sert de débarras. On pourrait voir pour quelques nuits, ça pourrait vous dépanner, non ?
- Oh que oui, Madame Laventre !
Mameth se doucha et se pomponna en attendant Roger. Un pauvre type à qui elle avait eu tort de céder. Ca allait terriblement lui compliquer la vie d'être charitable. Trop tard, le mal était fait.
Quand Roger sonna et qu'elle ouvrit, Mameth se retrouva devant un type qui avait une sâle mine. Il tenait un petit bouquet de quatre anémones qui courbaient la tête.
- Le fleuriste m'en a fait cadeau. Ne croyez pas que je roule sur l'or et que je cherche à profiter de vous. Je voulais pas arriver les mains vides.
- Entrez et venez boire un café. Je vais mettre ces quatre malheureuses dans un petit vase.
Je suis resté sur la table et quand j'ai vu le Roger l'air bien aimable, j'ai su qu'il était là pour un bon moment.


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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 43


Semaine 43

Sébastien restait assis sur le lit, les jambes balantes. J'étais sur ses cuisses maigres et il me caressait machinalement. Il se mit enfin à parler.
- Tu sais le Chat, je ne suis pas bête comme ils le pensent.Ils m'ont frappé à cause d'une histoire avec les jumelles qui ont encore menti et dit que j'avais encore volé du Nutella. C'est elles qui mangent tout le pot quand y a personne. Mais cette fois, ils m'ont fait vraiment mal. Regarde...
Le petit souleva son tee-shirt et se contorsionna. Je vis des bleus violacés dans son dos. Ensuite il remonta sa manche droite et je vis les mêmes bleus sur son bras.
- Ma mère a eu la trouille et elle a dit à mon beau-père Jean- Jacques qu'il avait
tapé trop fort et que ça pouvait faire des histoires à l'école. Alors j'y vais plus depuis quatre jours. Mais la directrice a téléphoné. Ma mère a dit que j'avais attrapé la varicelle et que j'étais parti pour quelques jours chez ma grand-mère à Chambon. La directrice a dit qu'il fallait un certificat médical et comme je ne travaille pas très bien, elle a demandé à ma mère de passer chercher mes devoirs et d'apporter le certif. Mais ma mère a dit qu'elle ne pouvait pas passer. Qu'elle partait tôt à son travail. Alors la directrice a demandé quand elle pouvait passer. Ma mère a dit ce matin parce qu'elle partait plus tard au travail. Alors là haut, ils attendent la directrice et il faut pas qu'elle me voit et il faut pas qu'elle m'entende. Il vont mentir pour le certificat et dire que c'est ma grand-mère de Chambon qui l'a. Ils ont la trouille. Ils ont peur que la directrice se doute de quelque chose parce qu'un jour, Lili, une des soeurs jumelles a raconté que j'étais un voleur et qu'on me battait et que j'étais puni à la cave mais que ça n'y faisait rien. Elle avait demandé à ma mère et à Jean- Jacques de venir;
La directrice m'avait fait venir aussi dans le bureau. Mais ils avaient fait les innocents en disant que Lili exagérait tout. Qu'ils m'arrivait de faire des bêtises mais comme tous les enfants. Ma mère me regardait tout le temps quand elle parlait et ses yeux me disaient de me taire et surtout de ne pas dire le contraire. Jean-Jacques me tenait par l'épaule et me serrait très fort.
- Un jour, il va falloir parler et dire le mal qu'on te fait à la maison, dis-je en ronronant.
- Oui, mais il faudrait que je puisse m'échapper après, le Chat, sinon ils me tueront ou ils me feront prisonnier dans la cave pour toujours.
- Oui, confirmai-je. Sauf si on te croit et si la directrice prévient alors la police. C'est eux qui iront en prison.
- Ca c'est pas possible, le Chat. On me croira pas. Ils sont très fort. Et puis même si ma mère et Jean Jacques vont en prison, c'est les jumelles qui vont me tuer. Elles me détestent.
- On va réfléchir, Sébastien, dis je. On va sérieusement réfléchir. Mais tu as droit à une belle vie. Comme tes soeurs. Personne ne les frappe elles, hein ?
- Oui mais moi c'est pas pareil. Jean-Jacques il dit que je suis un bâtard.
J'en avais assez entendu et j'étais énervé alors je me suis mis à miauler fort comme un dingue, comme un chat qu'on écorche : "Jean- Jacques c'est un connard de mec, Sébastien!".
J'eus le sentiment que mon long et puissant miaulement passait à travers les murs et ressemblait à un râle de supplicié qui pourfendait la maison de haut en bas.


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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 42


Semaine 42

Maintenant Mameth était sonnée. Pourtant quelques jours auparavant elle était sortie super excitée de son passage au commissariat. Finalement devant ses cris, ses contestations et ses remarques pleines de bon sens, le député maire à la noix avait préféré retirer sa plainte et parlé sur un autre ton. L'avocat et le conseiller en communication qu'il avait appelé plusieurs fois y étaient aussi certainement pour quelque chose.
Ce n'était pas le moment, vue la morosité politique ambiante, et à quelques mois des élections, de traiter avec morgue et arrogance les petites gens. Il avait même promis de dédommager le pauvre type qui avait perdu son chien dans l'accident. En sortant du commissariat, Mameth, comme d'habitude, avait filé son adresse et son numéro de
portable au cycliste. Chaque fois qu'elle avait à faire à des situations de crise, elle éprouvait aussitôt le besoin de croire qu'elle pouvait éternellement rendre service aux autres. En général, dans l'heure qui suivait, elle regrettait d'avoir filé ses coordonnés à des gens qu'elle ne connaissait pas . Quand ces personnes appelaient le lendemain pour boire un pot ou demander quelque chose, Mameth devait se creuser les méninges pour inventer des histoires tordues capable de la sortir dignement des griffes de ceux qu'elle avait souhaité revoir la veille.
Sauf que cette fois elle n'eut pas à chercher loin pour trouver des excuses bidon. Il y avait eu l'attentat à Bombay. Un truc très grave dans sa vie personnelle et qui la privait de temps disponible pour longtemps...

Elle n'avait pas pu joindre Chloé dans les heures qui suivirent la terrible nouvelle. Elle avait alors appelé deux fois La Luppa. La première fois, un moine répondit qu'il était à la chapelle en train de prier pour son gendre et sa fille et la seconde, le même moine expliqua que La Luppa venait d'être victime d'un malaise et que le médecin était attendu. Heureusement Guillaume répondit. Il lui conseilla de se calmer. Sa soeur Ursule allait venir à Paris demain ou après demain.
Il l'avait eue au téléphone et pensait que c'était une bonne idée.
Mameth aurait quelqu'un de proche à qui parler. Il fallait laisser Chloé tranquille. Guillaume parlait régulièrement à sa soeur et lui donnait de bons conseils. Bref, Mameth comprit assez vite que Chloé ne voulait surtout pas lui parler et l'avoir dans les pattes. Alors Mameth se contenta d'envoyer un texto.
Mameth monologua beaucoup avec moi. Il y eut beaucoup de Lucien par ci et de Lucien par là, de mon pauvre Lucien si tu savais et aussi des déclarations qui allaient de ma brave bête à mon amour de chat... Des égarements à la Mameth qui essayait de surnager sans verser une larme. Il lui fallut répondre aux amis. Faire la mère normale alors qu'elle n'avait même pas entendu une seule fois le son de la voix de sa fille. Et puis Mameth avait appris par Guillaume que Chloé n'irait pas aux obsèques d'Andy. Elle était épuisée. Elle connaissait peu les parents de son mari, les frères, les soeurs, les enfants nés d'un premier mariage mais elle savait parfaitement qu'elle ne serait pas la bienvenue. Tout ces gens là avaient été écartés quand Andy avait renoncé à un mariage indien, quand il avait évoqué un mariage européen qui servirait en même temps ses affaires, un mariage enGrèce à la Onassis. Elle était évidemment tenue pour responsable de cette décision infamante. Le mariage n'aurait pas lieu en Inde, mais la
famille s'emparait des funérailles. Personne ne voulait de Chloé ce jour là.

Ce jour là, Chloé appela enfin sa mère.
D'une voix monocorde et triste, elle demanda à sa mère comment se portait le chat Lucien. Mameth en sanglot lui répondit que j'allais très bien et que j'étais en fait le plus cadeau qu'elle lui avait fait.
- Non répondit alors Chloé, j'en ai un autre bien plus beau à te faire...
- Ah! se contenta de souffler Mameth interloquée qui avait peur à chaque mot de contrarier sa fille.
- Je suis enceinte, maman.
- Oui, répondit calmement, Mameth, c'est le plus beau cadeau qu'on puisse me faire.
- Où puis-je aller guérir, maman?
- A Antisoros, ma fille. Tu es toujours en Grèce, n'est ce pas ? Prends un bateau pour Antisoros. Tu verras, là bas c'est le paradis. C'est un coin du monde que je n'ai jamais oublié. C'est là bas que je suis devenue quelqu'un d'autre.
- Pourquoi pas. Si tu le dis. Je t'appellerai quand j'y serai.
- Prends bien soin de toi, Chloé, je t'embrasse.

Chloé avait raccroché sans dire un mot de son malheur. Encore une fois elle avait porté l'estocade à Mameth. Un enfant. Chloé n'arrêtait pas de monter toujours plus haut.




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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 41


Semaine 41

Onaké travaillait surtout la nuit. Elle dînait tôt, frugalement, avant que le jour ne soit tombé, puis elle partait au monastère souhaiter une bonne nuit à François La Salles. Il le lui avait demandé la semaine précédente. Il sentait ses forces l'abandonner et pensait qu'un de ces prochains matins il n'ouvrirait plus les yeux sur le monde. Après son réveil, il tenait à aller au bord du lac avec le moine Gio et Onaké. Il ne se baignait plus et le moine le tenait recroquevillé dans ses bras. Les eaux calmes, brunes ou verdâtres du lac, lui rappelaient la lagune de Venise. Quand il était là, dans les bras solides de Gio, il était tout près de Marco, emporté par un vaporetto imaginaire qui faisait défiler la ville magique. Pendant cette demi-heure, il ne souffrait plus. Son visage se détendait et il se sentait bercé comme un nourrisson contre la poitrine du moine silencieux.
L'après midi, Onaké partait au village et dans la maison de thé souvent déserte à ce moment de la journée, elle pianotait sur le clavier de son ordinateur et retrouvait
les rumeurs du vrai monde. Sa mère se remettait d'une mauvaise bronchite qui l'avait conduite à l'hôpital. Le Kolonel avait lâché prise et fini par accepter qu'Onaké quitte la scène. Elle n'avait plus cherché à savoir où sa fille se trouvait. Elle se contentait d'envoyer deux ou trois mails par mois et attendait qu'Onaké veuille bien y répondre. Mais ce qui faisait qu'Onaké allumait maintenant son ordinateur avec un pincement au creux de l'estomac, c'était le désir de lire un mail de Guillaume de La Luppa. Depuis son bref passage au monastère, elle attendait, un signe de sa part. Il n'y en avait eu aucun. Elle ne se désolait pas pour autant et attendait. Quelque chose lui disait qu'ils
partageaient tous les deux la même évidence. Ils étaient faits l'un pour l'autre. Ce n'était peut-être pas le moment, peut-être trop tôt, mais un jour, ce qui avait marqué leurs regards sans qu'ils s'en rendent compte, les submergerait. Tous les deux avaient une grande habitude de la patience et de l'attente.
Elle répondit au nouveau directeur de Pleyel qui voulait avoir des nouvelles de La Salles. Le notaire de La Salles disait avoir reçu le testament de François. Désormais tout était en règle. Elle reçut un compte rendu détaillé du conseiller bancaire qui
gérait ses affaires à Tokyo. Elle vérifia que le virement mensuel destiné à la communauté monastique avait bien été effectué. Il n'y avait aucun message de Guillaume La Luppa.
Onaké referma son portable et commanda un second bol de thé vert. Ce soir elle terminerait le troisième et dernier mouvement de la Sonate à Gia. Le premier s'intitulait "Présence de l'amour", le second "L'attente" et le dernier mouvement serait "La désespérance". Elle en connaissait le déroulement, le tempo, les surprises et la fin. Elle avait presque toutes les notes en tête. Celles qui lui manquaient viendraient d'elles même quand elle serait penchée sur le clavier, comme à chaque fois. Elle vit arriver la camionnette du moine Kitashiba qui s'arrêta devant la maison de thé. Il colla son visage au carreau pour regarder à l'intérieur. Onaké comprit qu'il la cherchait. Elle lui fit signe. Elle refusait de penser que François La Salles était mort sans qu'elle soit là.
- François va très mal, dit seulement le moine. Il faut rentrer sans tarder.
- D'accord, répliqua Onaké.
Elle posa quelques pièces sur la table et fit signe à l'employé qui rangeait des bols sur une étagère. Elle sentit que quelque chose de sa propre vie allait aussi mourir. Elle ressentit une tristesse infini, pas de peur contrairement à ce qu'elle avait toujours cru penser face aux choses qui finissent. Seulement une tristesse infini qui faisait vaciller tout ce qu'elle avait pensé être. Mourir ne l'effrayait pas.
C'est l'idée de devoir renaître qui la mortifiait.



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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 40


Semaine 40

L'été s'était posé sur Antisoros. Les fleurs mauves et jaunes des lavandes, des bruyères et des genêts s'étaient éteintes, laissant apparaitre la rocaille et les flancs de la montagne, couleurs de terre. A midi, le soleil commençait à cuire l'île comme un oeuf au plat. Les premiers touristes, des gens blonds et pâles, arrivaient du nord. Très
peu s'installaient au camping. Ils avaient de l'argent et choisissaient de louer des chambres ou des appartements chez l'habitant. Très peu choisissaient de camper. Yannis Pantapoulos avait encore du temps tranquille devant lui. Une ou deux semaines, ça dépendait des dates d'examen et des réductions des compagnies aériennes. Sa clientèle était jeune et désargentée. Mais il surveillait de près la situation.
Tous les matins, nous descendions au port et on s'installait à la taverne de Costas. Costas était un des rares types de l'île qui conversait encore avec Yannis. Et il ne venait même pas à l'idée de Yannis d'aller s'asseoir ailleurs pour siroter un café frappé et attendre les bateaux qui accostaient. Je descendais avec lui de la maison jusqu'aux quais. Je marchais à ses côtés, comme un chien, la queue droite comme un I et l'allure souple. J'essayais tant bien que mal de ressembler le plus possible à Ronrono. Je passais devant le restaurant de Patalina aussi fier qu'un tigre qui escorte son Pacha. La chatte borgne Kali ne mouffetait pas, ni ses fils qui faisaient semblant de dormir. Il me semblait que Yannis et moi étions deux soldats fiers et courageux qui osions la traversée du village à pieds. La plupart du temps, Pantapoulos fuyait les rues du village et passait son temps chez lui ouà son camping. Il circulait sur sa vieille moto pétaradante, empruntantl'unique petite route de l'île qui en faisait le tour le long de la
côte, évitant les ruelles du villages et les rencontres.

Ce matin là, Antisoros était calme. Le premier bateau qui devait accoster de la grande île voisine n'était pas encore en vue. Il y avait juste un petit essaim de suédois et de norvégiens bourdonnant devant la boulangerie. Jem'étais allongé aux pieds de mon maître et je humais la tiédeur de l'air à peine remuée par le petit vent venu de la mer.
Yannis fumait tranquillement sa clope et je sentais bien qu'à cet instant là, il était redevenu un homme tranquille. Un homme que le malheur n'aurait pas bousculé, un homme ordinaire à qui rien d'exceptionnel ne serait arrivé. Un homme comme la majorité des autres hommes de l'île. Assis à la terrasse de ce café, devant la beauté
éternelle de la mer,il redevenait sans doute, le jeune homme d'autrefois qui avait toute la vie devant lui. Il tirait tranquillement sur sa cigarette, le corps nonchalant et détendu sur la chaise rigide de paille et de bois.

Et puis soudain, dans la baie, apparut le premier bateau. Il glissait, blanc, sur l'eau bleue et calme. Chaque fois c'était la même chose. Le coeur de Yannis Pantapoulos se mettait à palpiter. Un sentiment inéffable de paix, de joie et d'amour mêlés, l'envahissait jusqu'à la racine des cheveux. Rien d'autre ne lui avait jamais fait cette
impression. Rien, ni personne. Ni personne sauf Mameth. Il étira sa jambe droite et redressa son dos sur la chaise. Il aurait pu savourer cet instant unique tous les matins de sa vie si le destin n'en avait pas décidé autrement. Maintenant, à ce moment précis, il découvrait que depuis plusieurs matins, il venait attendre quelqu'un. Il était sûr que
la pièce de monnaie découverte dans les vieilles pierres du mur du camping était un présage qui allait se réaliser. Mameth allait revenir.
Le bateau allait rejoindre le quai. Il distinguait très bien les voyageurs perchés sur le pont supérieur. Et il la vit. Comme la pièce l'avait promis. Flamboyante avec son casque de cheveux roux, sa peau de porcelaine et la façon de se tenir. Elle était revenue. Yannis avait seulement plissé les yeux. Il ne bougeait pas. Il attendait la suite. Et la suite le laissa abasourdi. C'était une jeune femme, d'à peine trente ans qui traversa la passerelle et se retrouva inondée de soleil sur le quai. Une jeune femme qui n'était jamais venue et qui ressemblait à Mameth comme deux gouttes d'eau. Yannis avala la fumée de travers et toussa. Dieu n'arrêterait donc jamais de le faire marner. Pourquoi se moquer de lui de cette façon? Il regarda la jeune femme avancer vers le
café de Costas sans pouvoir bouger. Il y avait trois autres cafés que d'habitude les touristes préféraient. Elle le dévisagea avant d'immobiliser sa valise à roulettes pour finalement s'asseoir devant lui, face à la mer,en lui tournant le dos. Elle commanda en anglais un café frappé avec du lait et du sucre. Son portable sonna. Elle répondit en français :
"Oui maman. Je viens d' arriver. C'est pas mal. C'est vrai, c'est calme....
Je t'en prie Mameth, ne recommence pas... Je vais bien. Oui appelle moi ce soir. Tchao."
Yannis Pantapoulos écrasa sa cigarette et se leva. Je le suivis. Il était redevenu l'homme inquiet qu'il était toujours. Il partit longer le quai redevenu désert. Il pleurait.



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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 39


Semaine 39

J'ai passé des nuits entières dans la cave mais la porte en haut de l'escalier ne s'ouvrit plus une seule fois pendant longtemps. Le petit lit en fer et son matelas souillé restait vide. Je me disais que c'était tant mieux. Que le gosse n'était plus puni. Et puis je pensais aussi que peut-être il existait d'autres punitions, dans la maison. Et là, je
ne pouvais rien faire. Je ne pouvais pas me montrer. C'est ce que m'avait dit Ronrono Chapati, mon maître.
Maintenant que j'étais seul, je m'installais sur le lit pour faire un somme, roulé en boule. Je ne dormais que d'un oeil. Je me demandais si ça valait le coup de continuer de venir dormir ici. Je préférais largement passer la nuit dans des cabanes de jardin, sous des tas de bois ou des appentis.
Cette cave sentait le malheur et la souffrance, ça puait une odeur d'humain sordide qui pénétrait les narines. Plusieurs fois dans mes rêves j'avais appelé Ronrono mais il ne s'était pas manifesté. Je fus ravi de voir enfin passer son ombre devant le soupirail. Il se glissa entre les barreaux de fer, s'appuya sur le mur de meulière avec ses longues pattes avant et se retrouva sur le sol de la cave. On aurait ditun fauve sortit de la jungle.
- Oh mon maître ! M'exclamai-je. Enfin vous voilà ! Comme je suis heureux de vous voir. Ici la situation stagne, l'enfant reste dans la maison et vous m'avez interdit de m'y montre ! Je désespère dans ce sous-sol puant.
- Je te comprends, Lucien, mais je suis venu te demander de ne pas abandonner ta mission. Le gosse va revenir et je te le répète, il n'y a que toi qui peut le sauver.
- Mais comment, Ronrono ?
- Je n'en sais rien, Lucien. Si on t'a donné plusieurs vies, il te faut les mériter, mon brave. Je suis là pour te guider mais certainement pas pour te donner les solutions.
- Bien Ronrono, dis-je en me lissant les moustaches, gêné de mettre montré sans volonté. Je vais trouver. Je vais trouver...
- Bien sûr Lucien que tu vas trouver. Tu es un de mes meilleurs éléments.
- C'est vrai Ronrono?
- C'est vrai Lucien. Tu es celui que je viens voir peu souvent parce que tu es digne des vies qu'on t'a confié. La plupart du temps, tu es un excellent chat et les humains t'apprécient. Tu remplis autant leurs viesqu'ils remplissent la tienne !... Sur ces compliments, je vais me sauver, j'ai de la route à faire cette nuit, du ciel à parcourir. Je
suis juste passé te redonner un peu de courage. Au revoir, Lucien. A la prochaine.
- Au revoir, maître Ronrono Chapati. Pensez à moi de temps en temps.
- Je pense très souvent à toi, Lucien. Très souvent. Tu es mon élève préféré.
Ronrono Chapati sauta entre les grilles du soupirail et dehors, dans le jardin, son ombre s'estompa presqu'aussitôt. Je me remis en boule comme pour contenir au creux de mon ventre le bonheur que m'avait procuré sa visite. L'idée que Ronrono pense du bien de moi me remplissait de bonheur. Pour le satisfaire, j'aurais passé la moitié de ma vie dans cette cave. Je m'endormis profondément. Quand je me suis réveillé le jour passait par le soupirail et la clarté m'indiquait qu'il était bien plus tard que l'aube. J'allais déguerpir vite fait quand la porte en haut de l'escalier s'ouvrit. La voix de la femme articula d'un ton sévère :
- Tu as intérêt à te tenir à carreaux et à bien respecter ce que ton père et moi on t'a expliqué. En tous cas, tu la boucles jusqu'à ce qu'on vienne te chercher.
- J'ai compris, répondit Sébastien de sa voix docile.
- Eh ben, tant mieux pour toi.
La porte se referma d'un coup sec et on donna un tour de clé. Sébastien descendit lentement en se tenant à la rampe. Je redressais la tête et il me vit tout de suite. Il se pressa vers moi en murmurant et en tendant les bras :
- Le Chat, mon ami, mon petit ami, tu es là? Comme tu m'as manqué. J'ai cru que je ne te reverrai plus et ça me faisait encore plus mal que les coups.
Sébastien me serra dans ses bras. Il n'avait jamais osé avant. Je me mis à ronronner le plus fort que je pouvais pour lui dire combien moi aussi je l'aimais.



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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 38

Semaine 38

La bombe explosa à 14h 17 à l'hôtel Majestic India Palace de Bombay,
ravageant les marbres et les marquéteries, disséquant le mobilier et soufflant les verrières du gigantesque hall. Chloé n'était plus en Inde. Elle avait quitté l'hôtel Majestic Kerala du lac Pichola la veille, pour rejoindre Athènes.
A 14h 17, Andy aurait dû se trouver dans la salle des congrès épargnée par la terrible déflagration qui avait secoué les deux premiers étages, mais il avait réussi à expédier la réunion du conseil d'administration, et aussitôt, il avait décidé de filer à l'aéroport. Il avait une envie folle de retrouver Chloé et de rester quelques jours heureux et tranquille auprès d'elle, avant le mariage. Il était passé par ses appartements pour prendre un nécessaire de voyage, toujours prêt dans un sac Vuitton, rangé sur une étagère du dressing. Il n'avait pas traîné, il se sentait léger, prêt à refaire sa vie avec unefemme plus jeune qui l'électrisait et lui avait ôté d'un coup quelques kilos et une dizaine d'années. Elle l'avait rajeuni, l'avait fait vivre autrement, manger autrement, boire autrement, il avait remis les pieds dans la salle de gym tous les matins, il s'habillait autrement, il se sentait prêt à bouffer le monde et les actionnaires se frottaient les mains. Il sortait de l'ascenseur quand un sifflement aigu lancé comme
une pluie d'aiguilles lui perça les tympans. Un souffle puissant et brûlant le foudroya en même temps et un morceau de table déchiquetée le frappa en pleine tête, lui scalpant une partie du crane. Il fut tué sur le coup.

La nouvelle tomba sur toutes les agences d'informations et les réseaux sociaux, cinq minutes plus tard. Mais c'est un coup de téléphone de leur secrétaire particulier qui informa Chloé qu'Andy était mort. Avant il avait téléphoné à la gouvernante qui
s'était précipité auprès de Chloé annonçant les larmes aux yeux une atroce nouvelle. A cette seconde, Chloé était restée pétrifiée à regarder danser la mer devant elle. A l'autre bout du monde, Jo Spencer, le secrétaire, racontait l'attentat, insistait sur le fait qu'Andy n'aurait jamais dû se trouver là, demandait à tout bout de champ si elle l'entendait et bégayait des inepties. La gouvernante était assise par terre aux pieds
de Chloé et levait vers elle des yeux inquiets tout en tenant les chevilles de sa jeune patronne comme si elle avait peur qu'elle saute ou s'envole par dessus le parapet de la terrasse. Chloé finit par dire quelque chose. Elle répéta plusieurs fois le prénom de son mari. "Andy, Andy, Andy" disait-elle d'une voix désolée. Et puis elle pensa que le
bonheur s'était toujours défait à un moment ou à un autre de sa vie, comme un lacet de chaussure qui lâche quand on se met à courir. Voilà, elle se cassait encore une fois la figure. Elle aussi était en sang même si son visage était livide. Sans le savoir, Andy la tenait par la main en sortant de cet ascenseur et elle venait de se disloquer avec lui dans le néant. Elle n'existait plus. Elle finit quand même par dire froidement à Jo :
"S'il vous plait, Jo, prévenez ma famille. Je n'en ai absolument pas la force. Je suis anéantie. Je ne sais pas quoi faire. Revenir à Bombay, rester ici, partir à Paris, je ne sais pas , Jo, je vous rappelle dans la soirée. "
La gouvernante secouait machinalement latête comme pour approuver tout ce que disait Chloé. Elle avait l'air d'un automate mais Chloé se dit que dans cette tourmente qui détruisait sa vie, Dieu merci, c'était elle qui était là et pas sa mère. Alors Chloé, enfin se laissa envahir par la déception, le chagrin, la perte, l'abandon et serra si fort la tête de sa gouvernante anglaise et la tintainsi tant de secondes que Melle Johanson manqua de s'étouffer.

Dans la soirée Melle Johanson rappela Jo. Chloé repartait pour Bombay, le plus tôt possible pour assister aux funérailles d'Andy. Chloé lut et relut le texto de sa mère qui n'avait pas appelé : " Ton chagrin est mon chagrin, ta douleur est ma douleur, tu es ma fille, je suis ta mère et je pleure quand tu pleures. Crois moi pour une fois." Elle avait parlé àGuillaume. C'est lui qui lui avait conseillé de regagner Bombay. Il allait s'y rendre aussi et la retrouverait là bas. Et puis il y avait euun coup de téléphone de son père.
La Luppa avait juste dit deux fois :
"Ma chérie" et elle l'avait entendu pleurer comme un enfant. Ce jour là, ce jour terrible, elle pensa qu'elle aimait son père bien plus que sa mère mais elle accepta l'idée qu'elle ressemblait beaucoup à Mameth. Et que ça ne servait à rien de s'en défendre. Andy était mort. Maintenant elle était seule au monde même si elle portait son enfant. Et c'est même à cause de ça qu'elle était encore plus seule au monde.



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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 37


Semaine 37

J'étais allongé sur la large balustrade en bois du balcon de la maison d'Onaké quand je vis arriver, accompagné par le vieux moine Kitashiba, Guillaume, le fils de Mameth. Il était pâle et avait les traits tirés. Le voyage l'avait fatigué et sans doute aussi tout ce tralala l'effrayait un peu. Que voulait exactement La Salles ? Quel était le rôle d'Onaké Kikoni dans cette affaire? Pourquoi avait on pensé à lui? Il était presque mal à l'aise de découvrir l'endroit où se cachait la pianiste virtuose. Il se souvenait lui avoir servi d'interprète peu avant sa retraite, il se souvenait de ses tremblements iréprécibles qui l'empêchaient de jouer. Quand il avait lu dans les journaux sa subite disparition, il n'avait pas été surpris. Mais il s'était tu, bien évidemment. Il n'avait jamais formulé le moindre commentaire et lorsqu'il avait ensuite rencontré La Salles à Pleyel, pour servir d'interprète, il n'avait posé aucune question. Dans le monde du show-biz, il était apprécié pour sa discrétion. Quand Guillaume franchit les trois petites marches qui menait au balcon et à la porte d'entrée du pavillon en bois, il m'aperçut et s'étonna :
- Ben, ça alors c'est dingue ce que tu ressembles à Lucien,toi !
- A Lucien ? Lui s'appelle Petit Tigre! S'exclama en français Onaké qui venait d'apparaître dans l'encadrement de la porte.
La conversation se poursuivit en anglais. Guillaume expliqua qui était Lucien. Il n'y avait que moi qui savait que Lucien, Petit Tigre, Le Chat et les autres c'était le même. C'était moi.

Onaké s'inquiéta de l'état de fatigue de Guillaume et lui proposa de prendre une douche et de dormir s'il en ressentait le besoin. Guillaume se contenta de demander du thé bien chaud. Le moine Kitashiba partit le préparer et  sortit quelques plantes rares de sa poche qu'il mélangea au thé vert.
Onaké rentra vite dans le vif du sujet. La Salles n'en n'avait plus pour très longtemps. Le cancer se généralisait mais les moines le soignaient du mieux qu'ils pouvaient et leurs décoctions additionnées aux médicaments des médecins français rallongeaient un peu son espérance de vie. Onaké prévint Guillaume que La Salles avait beaucoup changé et qu'il ressemblait à un squelette habillé tellement il était amaigri. Elle ne voulait pas en dire plus, le reste devait être dit par La Salles. Maintenant La Salles ne venait plus rendre visite à Onaké. Se faire porter par le jeune Gio était un supplice car il avait mal partout. Il ne bougeait plus beaucoup de son lit ou de sa chaise longue. Quand Guillaume eut vidé trois bol de thé, Onaké proposa de se rendre au monastère.
                  
                         La chambre de La Salles était une cellule de moine spacieuse, bien éclairé par une large fenêtre qui donnait sur les alignements rectilignes du potager. François La Salles n'aurait jamais imaginé que les dernières images de sa vie eut un tel décor. Maintenant que ses pensées s'embrumaient souvent, quand il voyait le jeune moine Gio, grand et costaud, il était rassuré et heureux comme lorsqu'il retrouvait Marco, dans un café de Venise, derrière Académia. Gio c'était Marco. Marco était là, avec lui, dans ce potager, tous les jours qui lui restaient à vivre. Guillaume eut du mal à reconnaitre La Salles. Il portait toujours ses grosses lunettes d'écaille noire devenues, à cause de la maigreur du visage, complètement extravagantes et démesurées. 

François La Salles parla le premier en levant le bras pour serrer la main :
- D'abord un grand merci, Mr La Luppa de vous être déplacé et de bien vouloir céder à mes dernières volontés. Je ne veux pas laisser Onaké régler toutes ces choses, seules. Alors voilà, à ma mort je souhaite donc que mes cendres soient déposées au cimetière San Miguele de Venise dans le caveau de mon cher Marco Agnelli. Toute la procédure est réglée depuis longtemps à ce sujet. Je souhaite que vous soyez le convoyeur, en quelque sorte, et je souhaite que vous assistiez au travail des pompes funèbres...Que mes cendres soient bien déposées dans le caveau et que l'urne y soit scellée. Ensuite j'aimerais que chaque 11 Avril vous veillez à ce qu'un bouquet de fleurs y soit déposé. Vous vous dites que je suis un pauvre type bien capricieux mais l'amour de Marco a été toute ma vie. Rien n'avait bien commencé pour moi, vous savez, bien qu'étant né dans une famille aisée. Rien. J'ai été un fils peu aimé. Un enfant unique et seul que personne n'avait souhaité. Je n'ai réussi à plaire à aucun de mes parents. Je me suis dis que ma vie allait être exécrable... Et un jour il y a eu Marco. Pouvez vous me garantir que tant que vous serez vivant vous accomplirez ce que je viens de vous demander....Bien entendu tout sera à ma charge et un notaire s'occupera de vous rétribuer. Il vous suffit finalement de simplement cocher sur un calendrier la date du 11Avril !
François La Salles me sourit. Je ne comprenais pas pourquoi La Salles n'avait justement pas demandé à un notaire de se charger de ces formalités. Pourquoi avait-il besoin de moi? Pourquoi moi, précisément ? Je crus le deviner quand soudain je vis Onaké Kikoni assise près de la fenêtre. Elle portait un chemisier de soie blanc et un jean usé, ses cheveux étaient retenus à la nuque par une grosse barrette en bambou qui dessinait un huit. Une frange bombée retombait sur ses sourcils droits; Elle était magnifique. Elle regardait dehors comme si nous n'existions pas. Et puis elle se tourna vers moi. Je reçus une décharge électrique. La Salles m'avait fait venir pour elle. Pour que je sache qu'elle m'attendait depuis longtemps, sans rien savoir.



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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 36


Semaine 36

Chloé referma la lettre que lui avait envoyée son père et qui répondait à la sienne. Il avait l'air de bien se porter. Elle le verrait bientôt mais elle avait voulu ne pas attendre pour lui annoncer la nouvelle.
Elle avait voulu qu'il soit le premier à savoir. C'est pour ça qu'elle lui avait écrit, il y a une quinzaine de jours. Personne ne saurait avant plusieurs semaines ce qu'elle lui avait confié.

La gouvernante s'occupait des malles qui devaient contenir les différentes tenues des mariés. Elles seraient expédiées le lendemain en Grèce. Chloé avait essayé une dernière fois sa robe de mariée. Un modèleunique dessiné par un jeune couturier indien, coupé dans un tissu de brocard ivoire et blanc. Chloé portait la robe à ravir. Pas de voile, seulement quelques fleurs de jasmin éparpillée dans sa longue chevelure
rousse et bouclée. Un côté Sissi Impératrice qui plaisait tant à sa mère. Mameth serait bien obligée de se rendre compte à quel point sa fille était canon. Peut-être qu'à cette occasion elle parviendrait à le lui dire. A lui dire: "Ma fille tu es la plus belle des filles" La Luppa, son père, ne dirait rien de ce genre, mais elle le lisait dans ses yeux chaque fois qu'elle le voyait. Il la regardait toujours comme la huitième merveille du monde. La gouvernante n'avait plus de questions à lui poser et Chloé la laissa seule boucler les malles.
Le soir tombait. Au pied de l'hôtel, les eaux du lac Pichola commençaient à
rougeoyer. Le soleil orange s'y diluait comme une pastille effervescente. L'air était tiède. Elle jeta le pashmina de soie qu' Indi lui avait offert le lendemain de leur rencontre et qu'elle emportait partout avec elle. Elle quitta les pièces privées de l'hôtel et après avoir parcouru un labyrinthe de couloirs, arriva dans le hall
gigantesque de l'hôtel. Beaucoup de touristes se prélassaient dans les fauteuils. Les femmes étaient élégantes et malgré le monde, l'ambiance restait calme et feutrée. Chloé sortit sur la promenade qui dominait la pelouse et les jardins, descendit l'escalier royal, traversa la pelouse et rejoignit un chemin qui traversait le parc au milieu d'une plantation d'eucalyptus géants jusqu'aux rives du lac Pichola. Le shikara de l'hôtel attendait avec son batelier en livrée blanche et or. Le jeune homme s'inclina profondément devant Chloé qui lui demanda en anglais de lui faire faire un tour du lac en suivant le côté ouest qui abritait les plus hôtels du nord de l'Inde. Chloé s'assit sur les coussins confortables de la petite embarcation, sous le dé de brocard blanc et or assorti au costume du jeune batelier.
Elle se laissa promener, comme lorsqu'elle était enfant dans sa poussette et regarda
défiler le paysage grandiose. Son enfant allait naître dans la soie et l'opulence. Mais surtout il allait naître dans l'amour. C'est ça qu'elle avait écrit à son père. Qu'elle portait un enfant. Un enfant de l'amour, un enfant qu'elle désirait de tout son être.
Un chat sortit alors de sous le siège qui lui faisait face. Il lui fit presque peur quand il se déplia tellement il était haut sur pattes. Sa tête était celle d'un félin presque sauvage. Le batelier sourit. Ronrono regarda Chloé de ses yeux perçants et s'assit sur le siège vide. Chloé pensa au sale coup qu'elle avait fait à sa mère : le chat pour son anniversaire.
L'eau du lac s'assombrit soudain. Chloé avait souvent besoin d'humilier Mameth, de la contrarier, de la décevoir. Il fallait que Mameth paie.
Mais qu'elle paie quoi au juste? Chloé avait neuf mois pour y réfléchir.
Neuf mois pour que l'enfant à naître soit le bienvenu sur cette terre.


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