" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: juin 2013

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 22


Semaine 22

Mameth ne voulait plus retourner à Paris. C'était chaque fois pareil quand elle venait à Mallorca. Elle y arrivait à contre-coeur, elle s'y sentait mal les premières heures et puis après, une fois qu'elle s'était habituée aux odeurs, à l'espace, au silence, il n'était plus question de repartir. C'était la même chose avec sa soeur Ursule. Les premiers
mots étaient un peu acides, les gestes éloignés jusqu'à ce que leurs regards se croisent vraiment et se reconnaissent comme dans l'enfance.
Après ça, Mameth prenait pension chez sa soeur. Elle y déjeunait, dînait et y débarquait pour un oui ou un non, sans prévenir. Quand elle se heurtait à la porte close elle filait au potager situé à quelques centaines de mètres et si Ursule n'était pas au potager, Mameth filait sur le sentier vers le lotissement des Acacias faire un tour et se sentait abandonnée.
Cette fois Mameth espérait bien trouver Ursule chez elle, y prendre un café et pouvoir parler de ses préoccupations. Elle avait refusé de prendre le repas de midi, mais là, soudain, sa tomate et ses tranches de saucisson digérées, elle éprouvait le besoin
impérieux de déguster un nectar chaud et suave comme savait si bien le faire sa soeur. Ca allait lui délier la langue et elle allait mettre en pièces, encore une fois, les projets de sa fille, ce mariage insensé, cet étalage irréfléchi d'une fortune arrogante, ce caprice d'adultes immatures.
Quand Mameth poussa la grille de la petite maison d'Ursule, à deux pas de l'épaisse batisse familiale, elle entendit du bruit et fut rassurée. Ursule était bien là.
- Café?
- Oh oui, ça va me détendre.
- T'es pas détendue ici ? T'as pas grand-chose à faire, Mameth !
- J'étais détendue jusqu'à ce que Chloé appelle, figure toi !
- Ecoute ce mariage c'est son affaire. Ca ne te plaît pas, Ok, mais tu t'en fous. Tu n'as qu'à suivre le mouvement... Mais c'est vrai, suivre le mouvement, tu ne sais pas trop faire ça toi ?
- Tu ne vas pas t'y mettre, toi aussi ! S'énerva Mameth
- Non, je t'écoute.
- C'est Chloé qui m'inquiète. Elle épouse un type qui a seize ans de plus qu'elle, qui est divorcé et qui a un fils... Un indien ! Moi, les indiens qui vitriolent leur femme, qui les font avorter quand elles sont enceintes d'une fille et j'en passe, ça ne me dit rien qui vaille !
- Tu parles de quelques extrémistes, de pauvres campagnards illétrés...
- Les indiens sont extrémistes ! Les assassinats politiques, religieux, ça ne te dit rien ? La violence des Sikhs...
- Et Gandhi?
- Un antidote, comme les vaches sacrées. Mais les castes, c'est encore vivace ce truc là, même si les lois sont censées y avoir mis fin. Je ne veux pas faire le procès de l'Inde. Si on regarde chez nous, on trouverait aussi beaucoup à redire, mais moins sauvage, plus...
- Policé, lustré, mais au fond, avec beaucoup de fourberies !.. Bon écoute, Chloé a
choisi cet homme parce qu'elle l'aime. Chloé n'épouserait pas quelqu'un qu'elle n'aime pas. Alors, Indien, français ou autres c'est l'homme qu'elle a choisi. Et je lui fais confiance. Elle n'a pas donné son amourà un voyou. Voilà. Oui, l'Inde c'est loin, c'est d'autres coutumes, c'est d'autres paysages mais si ça lui plait ? Ursule planta son regard sec et vif dans les yeux de sa soeur.
- C'est ça, Ursule, le problème.
- Que ça lui plaise ! Comment tout ce dépaysement peut-il lui plaire ? Chloé a toujours cherché à se singulariser, à faire les choses différemment.
- Elle a toujours eu besoin de se marginaliser.
- Ben oui, les chats ne font pas des chiens. Elle te ressemble et tu ne veux pas l'accepter. Tu ne peux pas supporter qu'elle soit comme toi, mieux que toi, qu'elle
puisse en faire davantage !
- Ressers moi du café au lieu de dire n'importe quoi... La mère jalouse de la fille !... Mais ma pauvre Ursule,je n'ai pas fait quinze ans d'analyse pour entendre ça.
- Eh bien pense à autre chose ou soit un peu plus positive avec Chloé.
- Je vais essayer... Tu es au courant du chaton pour mon anniversaire ?
- Oui tu me l'as raconté quand je t'ai téléphoné. C'est vrai qu'elle aime te provoquer mais apprends un peu à courber l'échine devant elle. Ca risquerait de la désarçonner bien plus que tu ne le penses.
- Tu m'agaces Ursule, tu as souvent raison. C'est très bien qu'on habite loin l'une de l'autre, sinon c'est trente ans d'analyse qu'il m'aurait fallu.
- Et comment va De la Luppa, Mameth?
- Bien. Il médite dans son couvent et il crée. Il fait le vieil artiste, quoi.
- Eh bien, moi, je ne crois pas qu'il aille si bien que ça.
- Ah bon! Et tu as découvert ça comment ?
- Il m'a téléphoné, hier soir. Il m'a dit qu'il était malade. Qu'il fallait que je te l'apprenne avec précaution. Que Guillaume savait mais ne devait rien te dire. Il n'avait pas l'air très sonné. Il m'a parlé du mariage de Chloé et m'a dit qu'il y serait.
- Malade, gravement malade ? Un cancer ?
- Non.... Alzheimer.
- Il se souvient quand même que j'ai une soeur ! C'est déjà ça !... Tel père telle fille !... Mais qu'est ce qu'ils ont tous à passer par toi... Je suis si inaccessible que ça, Ursule?
- En quelque sorte, oui.
- Mais c'est faux. Guillaume te dirait le contraire. Et toi aussi. Parce que Guillaume et moi nous sommes des tendres. Et tu ne t'attaques pas aux tendres. Qu'à ceux qui te menacent. Tu es une espèce de mère louve.
Ursule se leva et enveloppa de ses bras les épaules de sa soeur.
- Mais tu as aussi besoin de chaleur. Et de réconfort.
- C'est vrai tout ça, Ursule.
Mameth se leva en vidant sa tasse et demanda.
- On mange ensemble ce soir ?
- Evidemment.
A ce soir. Je vais préparer mes affaires. Je rentre à Paris demain.


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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 21


Semaine 21

Chez Yannis Pantapoulos j'avais un régime spécial. J'étais le chouchou. Mais les trois autres chats de la maison, les "anciens" comme Yannis les appelait depuis que j'étais là, ne m'en voulaient pas. Les rituels domestiques n'avaient pas changé et c'est ce qui comptait pour Onassis et Le Brigadier. Leurs repas étaient servis avant les miens dans des gamelles séparées et le soir, quand la maison s'éteignait, hiver comme été, ils dormaient sur les deux fauteuils de la chambre, au milieu des vêtements que Yannis jetait en désordre avant d'enfiler son pyjama. Moi je dormais sur le lit du maître, au bout, sur la droite pour ne pas heurter les pieds de Yannis qui dormait à gauche. Il aurait pu se laisser aller au milieu de son lit mais inconsciemment il gardait vide une partie de sa couche comme si Irina avait pu, un jour, reprendre sa place. L'air de rien, je devais  à ma façon le protéger de cette absence. Depuis quelques temps Yannis dormait mal, ronflait plus que d'habitude et soupirait lourdement. Il était réveillé tôt, s'habillait en réveillant Onassis et le Brigadier, me prenait sous le bras et on descendait déjeuner. Le jour se levait à peine. On entendait, au loin, battre les petites vagues de la mer reposée par la nuit, comme un poul régulier. Yannis se faisait un café grec grignotait un ou deux biscuits secs et on partait, direction le camping, après qu'il m'eut glissé dans sa chemise, avant d'enfourcher la moto. Quand on arrivait, il filait vers le petit port, au fond du camping, s'asseyait sur le muret et allumait sa première cigarette.
Je ne sais pas pourquoi je pense à elle, à cette histoire, sans arrêt depuis que tu es là. Je devrais te détester pour ça et, non, au contraire, tu me fais du bien. Même si cette histoire me revient sans arrêt et ben je me sens mieux depuis quelques temps. Je me sens mieux. Je ne sais pas comment te dire... En fait je n'ai plus peur de me souvenir, mon brave BradPitt. Voilà, c'est ça. Les souvenirs peuvent revenir. Au diable, la honte et le malheur!
Après ça il se mettait au travail. Un yougoslave vivait sur place depuis quelques jours pour l'aider à consolider et rafraichir les cabanes en bambou. C'était le plus de ce camping. Les gens qui n'avaient pas de tente pouvaient s'installer sous ces petites cases qui longeaient le mur d'enceinte, à l'est. On y était à l'abris du vent et du soleil et on ne payait pas plus cher.
Avant de fumer sa première cigarette, Yannis me sortait de sa chemise. Je m'asseyais à côté de lui sur le petit mur et je contemplais la mer. Puis quand il se levait, je partais musarder du côté des dunes. En fait j'espérais revoir la petite chatte aux chaussettes blanche aperçue un jour sur les rochers. Mais elle n'était jamais revenue. Je finis par  m'endormir sur un des rochers plats, tant que le soleil rasant du matin ne chauffait pas trop. Et puis je fus réveillé par un ronronnement et un miaulement et une odeur très particulière de caramel et de betterave. Elle était là, la queue tendue et raide qui parfois ondulait au sommet. Elle se frotta contre moi et me mordit sur le col d'un coup bref et sec. Elle me regardait avec envie de ses yeux dorés et ronds comme les boutons de la veste du capitaine. Elle souriait. Elle m'avait choisi, il n'y avait aucun doute. Elle dansait devant moi avec ses chaussettes immaculées. La première fois que je l'avais aperçu j'avais oublié ma castration. Je m'étais même senti pousser un pistil sous la queue. Mais cette fois je me sentis démuni comme un eunuque. Elle se frottait contre moi et son odeur se répandait comme si elle avait vaporisé toute la plage mais je ne savais pas quoi faire de son débordement. J'essayais de lui lécher le museau mais elle me repoussa d'un coup de griffes. Elle attendait de moi un autre comportement que je ne savais pas. Elle se coucha devant moi, se renversa et se roula dans le sable. Je me suis rapproché d'elle et je l'ai recouverte. Elle feulait et se trémoussait pendant que je mordillais son encolure. Mais soudain comme si elle avait senti que je ne serai rien d'autre qu'un poid mort elle se retourna et me griffa jusqu'au sang entre les deux oreilles. J'évitais de justesse qu'elle me crève un oeil. Elle se sauva en crachant. Les griffures me cuisaient mais je ne pouvais pas les atteindre d'un coup de langue. Je mouillais mes pattes et me soignais tant bien que mal. J'avais honte de moi. Je finis quand même par oser rejoindre le camping. Yannis et l'ouvrier avaient sorti une table de camping au bord de l'eau et déjeunaient sous l'olivier. Yannis ne vit pas ma blessure. C'est le yougoslave qui s'en rendit compte le premier.
Il s'est pris une raclée ton chat!
Yannis se baissa vers moi et vit mes poils collés et ensanglantés
Oh! Nom de dieu!... Quel est le salopard qui t'as fait ça, mon BradPitt?
Ou la salope? Rectifia l'ouvrier en ricanant.
Ahh, si c'est une femelle c'est que t'as pas été à la hauteur! Conclut Yannis... Et ça m'étonnerait pas. Je t'ai couvé comme une cocotte.
Les deux hommes rigolèrent. Je n'avais jamais vu Yannis rire. Il riait de bon coeur et se foutait de moi. Je me suis dit que mon impuissance servait au moins à quelque chose. Je suis resté à bouder tout le reste de la journée sur le muret du petit port. Un tristesse infinie me dominait. Pourquoi n'avais je pas su séduire la belle Chaussette Blanche. Soudain j'en eus marre des hommes, de leurs bavardages inutiles, de leur compagnie. Je voulais revenir au commencement de ma vie dans la campagne normande. Je voulais devenir le chat de la ferme de ma mère, je voulais devenir le chat couillu que j'aurais dû être. Le soir quand Yannis arriva pour me prendre et me glisser dans sa chemise, il ne me trouva pas. Je m'étais caché dans un  panier de pêche. Il m'appela. Je le laissais faire. Il alluma une cigarette et se mit à parler seul
Il est où ce putain de chat ?... BradPitt ?.. Fais pas le con, chat !
Yannis tirait sur sa clope nerveusement.
- Viens que je te soigne petit, viens, allons!
 Mais non, il ne me soignerait pas. Il laverait ma blessure mais il ne me rendrait pas ma virilité. Il se servirait de moi comme d'une bouillotte au fond de son lit. Il me raconterait des histoires à dormir assis pour se soulager. Et puis soudain, Yannis dit quelque chose qui me consola et fit que je regrettais toutes mes mauvaises pensées :
- Viens mon BradPitt... Viens. Je te dirai comment faut faire pour séduire une petite chatte chipie. C'est normal, la première fois, de se prendre une raclée. Mais c'est la dernière fois que ça t'arrive, je te le jure. Viens voir ton Yannis....
Je l'ai cru. Je suis sorti de mon panier en ronronnant. Je faisais une confiance aveugle à cet homme qui avait tout perdu.

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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 20



Semaine 20

Onaké Kikoni avait replié la lettre et l'avait remise dans l'enveloppe.
Elle était restée longtemps assise sur les marches de la maison, triste et sombre, à regarder le vent agiter les arbres, en me tenant serré contre elle. Et puis Onaké fit quelque chose qui lui redonna le sourire. Elle se mit à me parler tout en me caressant :
- Bien. C'est le moment de voir si le moine Kitashiba vit dans un autre monde que le mien. Nous allons faire ce qu'il pense possible. Petit Prince, écoute moi bien.
Pars chercher Kitashiba et ramène le moi le plus vite possible.
Onaké fit exprès de me serrer davantage. Il fallut que je fasse un effort pour me dégager et sauter sur le chemin qui menait au monastère. Elle me regarda étonnée puis amusée.
- Alors le moine aurait dit vrai ! J'ai besoin de lui, va le lui dire !
Elle se mit à rire d'un rire cristallin mais je ne me suis pas retourné pour la regarder. Quand je suis arrivé devant Kitashiba, il me regarda et comprit tout de suite.
- J'arrive. Dit-il.
Onaké nous attendait à la même place. Elle avait toujours le même air amusé et un léger sourire aux lèvres.
- Alors, c'est donc vrai, Kitashiba. Ce chat comprend tout.
- L'essentiel. Répondit le moine. Que puis-je pour toi ?
- J'ai besoin de ton autorisation. Mr de Salles, mon imprésario français, mon ami, vient de m'écrire car il n'a plus longtemps à vivre. Il est seul, terriblement seul et va vivre ses derniers mois dans une maison ayant appartenu à sa mère, sur la Côte d'Azur. Il me dit qu'il pense beaucoup à moi, à ma décision d'avoir tout arrêté, à ma force d'avoir envoyé au diable le Kolonel, à ces tremblements qui m'ont annoncé que les fondations sur lesquelles je voulais batir ma vie n'étaient pas les bonnes, n'étaient pas les miennes et qu'il pense enfin à mon travail et à cette oeuvre que je suis en train de composer. Il regrette de ne pouvoir jamais l'entendre mais pense que là où il ira après la mort, la musique continuera d'habiter son errance. Il dit qu'il a toujours cru en
moi. Il me demande enfin de vérifier que son souhait soit exhaucé à savoir qu'une poignée de ses cendres soit dispersée du Cimetière San Miguele de Venise dans l'eau de la lagune, en souvenir de son seul amour et ami, Pietro Montebello, mort du sida il y a dix ans. Voilà... Mon idée, c'est que si c'est possible, j'aimerais que mon ami de la Salle vienne finir sa vie ici. Ici près de la courtisane Gio et de moi. Il m'a beaucoup soutenu à la mort de mon père. Et je sens, que c'est ce qu'il souhaite, même s'il n'en dit rien. C'est le genre de personne au service des autres, qui ne demande jamais rien, qui a toujours porté sa solitude sans s'en offusquer. Mais cette lettre est la main d'un homme qui se noie tendue vers moi.
- Nous accueillerons ton ami au monastère si tel est ton souhait et le sien. Nous lui fermerons les yeux, avec toi. C'est ma réponse et ça sera celle de mes frères.

Onaké n'avait plus de téléphone portable ni d'ordinateur. Kitashiba lui conseilla de téléphoner du village voisin où il la conduirait dans la soirée. Le monastère vivait sans électricité. Onaké appela de la Salle, à son numéro de téléphone parisien. Un homme jeune lui répondit qu'il était parti la veille pour les environs de Cannes, dans la maison de sa mère. Il lui donna le numéro de téléphone de la maison. Onaké appela. La sonnerie retentit plusieurs fois et quand Onaké allait se résigner à raccrocher, une voix faible et essoufflée lui répondit:
- Allo ! De Salles ....
- C'est Onaké Kikoni, François, j'ai reçu votre lettre.
- Ma chère Onaké, je ne pensais pas que vous souhaiteriez me parler de si loin où vous êtes. Comment allez-vous?
- Moi, je vais bien. Mais vous ?...
- Moi, je vais mourir, je vais rejoindre Pietro, Venise, une vie d'autrefois, heureuse et insouciante. Je suis prêt, Onaké. J'ai simplement peur de souffrir et je suis seul. J'ai peur de manquer de force et de courage.
- François, venez. Venez me rejoindre si vous en avez encore la force. Les moines
du monastère veulent bien vous recevoir et vous soigner. Et je serai là.
Onaké attendait une réponse mais le silence tomba entre eux comme si la communication avait été coupée.
- François ?
Une voix émue et minuscule bredouilla :
- Onaké, c'est insensé, vous avez mieux à faire que de récupérer un mourant.
- Je récupère un ami avec qui j'aimerais discuter encore un peu de musique et de sa vie, de Venise et de Paris, de mes concerts, de nos supplices.
- Onaké!
La voix respira pour reprendre son souffle court.
- C'est un cadeau inespéré que vous me faites. La vie me fait un dernier cadeau
somptueux...
- C'est oui, alors?
- Ca pourrait...
- François, au monastère nous n'avons ni téléphone, ni ordinateur. Préparez votre
voyage, écrivez moi quand vous arrivez à Tokyo et je me charge du reste. Je vous en supplie faites le. Avez vous assez de force ?
- Oui, puis je vais mettre des gens à contribution et en parler avec mon médecin
pour que le voyage soit le plus supportable possible... Onaké vous me
faîtes oublier que ma vie ne tient plus qu'à un fil.
- Une vie comme la vôtre ne tient jamais à un fil, François. Votre générosité en a tissé
beaucoup d'autres. J'attends votre courrier. Je vais raccrocher.
- D'accord.
La voix de de la Salle s'éteignit. Onaké avait raccroché et sortit de la cabine téléphonique comme un plongeur trop longtemps resté en apnée.
Elle était à bout de souffle, au bord de l'étouffement. Le sang battait dans ses tempes.
- Alors ? demanda Kitashiba qui l'attendait dans une camionnette garée un peu plus loin.
- Il va venir. Il va m'envoyer un courrier pour me préciser le jour et l'heure. J'irai l'attendre à Tokyo.
La lettre arriva neuf jours plus tard.
Onaké avait trois jours pour le rejoindre.

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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 19


Semaine 19

Ronrono Chapati m'avait prévenu qu'une de mes vies serait difficile et douloureuse. Il me l'avait annoncé la dernière fois qu'il était apparu. C'était chez Mameth, rue des Remparts. Mameth était partie à Mallorca me laissant aux bons soins de Guillaume qui était très peu présent.
Ronrono m'avait prévenu que la solitude me fortifierait pour affronter ce qui allait venir. Je dormais sur le rebord de la lucarne de la salle de bain qui me permettait étrangement d'apercevoir la vie de Mameth à la campagne, quand j'entendis glisser de nouveau sur le parquet, imperceptiblement, les pattes de mon maître. Je quittais le rebord où je prenais le frais tout en espionnant la vie de Mameth à Mallorca, et
sautais sur le carrelage. Je passais le museau par l'entrebaillement de la porte et vis déambuler Ronrono, royal, comme d'habitude. Ronrono s'arrêta au même instant. Il m'avait entendu sauter et tourna la tête vers la porte de la salle de bain. Je me présentais à lui.
- Vous revoilà donc, cher maître Ronrono. C'est toujours avec grand plaisir que je vous rencontre. Bonjour, maître!
- Bonjour, cher Lucien. Oui, me revoilà. C'est l'heure de te donner une vie supplémentaire. J'espère que tu es prêt car tu devras te montrer à la hauteur de la tâche qui est bien ingrate et difficile. Je t'ai réservé cette vie là car je sais que tu ne manques pas de coeur. Je sais que tu es généreux et patient, inventif et drôle, un peu sauvage mais attentionné.
- Vous pensez vraiment que j'ai toutes ces qualités, Ronrono ! Je n'en suis pas si sûr ! Enfin on verra bien.
- Exactement. Cette vie te permettra de voir vraiment qui tu es. Es tu prêt Lucie?
Nous partons. Je n'ai pas le temps de faire des grands discours.
- Eh bien, allons y alors, allons y.

Je n'en menais pas large, à vrai dire. Je me demandais vers quoi filait ma destinée. Je me demandais ce que c'était la souffrance. Mais je suivais fidèlement Ronrono sur le fil invisible tracé dans le ciel des existences. Il avançait sans jamais se retourner, posant ses pattes avec une précision de funambule, sans trembler ni hésiter. Chaque fois qu'il avançait ainsi devant moi, j'étais subjugué par son élégance, les justes proportions de son corps, la brillance de son pelage tacheté. Je me disais que s'il arrivait, un jour, que Ronrono ne vienne plus me voir, je me souviendrais toujours de sa démarche, de lui devant moi me montrant le chemin.
On finit par se retrouver dans un quartier pavillonnaire aux rues désertes et calmes bordées de petites maisons fleuries. Le soir n'allait pas tarder à venir car la lumière était déjà pâle et le ciel rougeoyant. Ronrono m'indiqua une maison à deux étages,
aux volets marrons, avec une allée de gravier qui menait de la grille au perron. De part et d'autre de l'allée il y avait de la pelouse fraichement tondue et deux massifs de rosiers. Tout semblait calme. Seuls des bruits de voix et de conversations sortaient d'une fenêtre entrouverte:
- Voilà ! Me dit Ronrono. Tu y es. Tu passeras par le soupirail, là, à gauche. Tu ne monteras jamais dans les étages. Tu resteras caché dans la cave. Tu peux zoner dans le quartier à ta guise et la nuit dans le jardin de la maison. Essaie toutefois de ne pas te
faire remarquer. N'oublie pas ce que je viens de te dire.
- Je vais vivre dans une cave, c'est ça ?
- Oui, et clochard dehors. Il faudra te débrouiller pour boire et manger. Bon courage, Lucien. Fais de ton mieux.
- Je vais essayer, maître, je vais tâcher de vous faire honneur.
- C'est ça, mon petit. Pense à moi. Au revoir Lucien.

Ronrono disparut comme à chaque fois, tel un fantôme. Je me faufilais donc par le soupirail et j'entrais dans la cave obscure qui n'était éclairée que par le faible rayon venu du soupirail. Une grande partie du sol était cimenté et servait de cave à vin. Une vingtaine de bouteilles était rangée sur une étagère. A côté il y avait du matériel de jardin et un petit établi de menuiserie surmonté d'une armoire à outils. Un escalier pentu menait au rez de chaussée du pavillon. Derrière l'escalier, caché par les marches et un vieux rideau, il restait un rectangle de terre battue avec un lit en fer. Je sautai sur le lit et je reniflais une vieille couverture pisseuse mêlée à une odeur de sueur
inconnue, sucrée-salée. Les ressorts du lit grinçait et étaient inconfortables. Je redescendis sur le sol. Ca sentait l'humidité, la moisissure et l'urine. J'allais ressortir par le soupirail et attendre une demi heure que la nuit s'installe, recroquevillé sous une des voitures garées dehors le long du trottoir, quand un bruit de talons pressés se fit entendre au dessus de la cave.
La porte de la cave s'ouvrit bruyamment. Une lumière jaune raya les marches. Une jeune femme à la voix aigüe s'énervait en haut de l'escalier et secouait un enfant
qui se laissait faire, comme un pantin, sans rien dire :
- Je te l'ai dit et je te le répète Antoine, tant que tu ne m'obéiras pas, tu seras puni. Tu veux faire la forte tête, tant pis pour toi. Tu me réponds et tu voles les jouets de tes soeurs !... Allez ouste tête de mule. Une bonne nuit à la cave, ça te fera réfléchir. Peut-être que demain tu fileras doux, hein ? Hein ? répéta la femme en secouant de nouveau l'enfant.
- Oui. Répondit-il sans rien dire d'autre.
Elle le poussa alors violemment dans l'escalier. Il aurait pu tomber mais on aurait dit qu'il avait l'habitude. Il se rattrapa aussitôt à la rampe. Il descendit les marches une à une, en se tenant, lentement. Il fila à l'endroit où se trouvait le lit, écarta le rideau et s'assit sur le lit qui grinça. Il resta les yeux dans le vide et ne me vit qu'au bout d'un
long moment. En nous apercevant, nous eûmes peur l'un de l'autre. Il leva ses jambes et les recroquevilla sous le menton en les tenant serrées dans ses bras et moi je restai assis, figé, comme une statuette égyptienne.

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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 18


Semaine 18

Chloé devina que sa mère était dans une rage folle. Elle ne l'avait pas épargnée. Pourquoi avait-elle appelé Ursule pour lui annoncer son mariage au lieu d'attendre que le portable de sa mère soit opérationnel ? C'était plus fort qu'elle. Chloé cherchait toujours querelle à sa mère. Il en avait été toujours ainsi. D'autre part, il ne lui semblait pas possible de penser sereinement à son mariage tant que sa mère n'était pas au courant et il y avait eu soudain urgence à ce qu'elle le sache.
Mais ni sa mère ni Ursule ne savaient tout. Chloé avait décidé de se marier en terrain neutre, moins loin qu'en Inde et surtout pas en France. Son futur mari qui dirigeait
une chaîne
internationale d'hôtels lui avait proposé plusieurs endroits possibles pour la cérémonie. Tous deux refusaient un mariage indien aux lourdes traditions. Ils voulaient réunir quelques amis et les parents proches à qui ils offriraient voyage et hébergement. Ils tombèrent d'accord sur Athènes. Ensuite, ils projetaient un voyage de noce en Italie, en Espagne et en France pour qu' Andy puisse rencontrer la famille de Chloé et connaitre du pays de sa femme d'autres contrées que Paris.
Chloé appela Mameth deux jours plus tard le coup de téléphone à Ursule, sa tante. Elle la réveilla dans la chambre vietnamienne où Mameth passait toujours des premières parties de nuit orageuses, peuplées de cauchemars. Elle ne se reveillait jamais avant neuf heures du matin pour rattraper ce mauvais sommeil et ensuite,
après la douche partait déjeuner chez Ursule. Les placards et le frigo de la maison restaient presque vides quand Mameth ne séjournait pas dans les parages plus d'une semaine. Mameth répondit à la sonnerie la bouche pâteuse.
- J'écoute...
- Je te réveille?
- Oui, ma fille, enfin presque. C'est mon heure. Alors où en es tu de ce mariage ? Tu aurais pu me prévenir avant Ursule... Mais passons. Alors, il faut que je vienne à
Calcutta?
- Non, pas Calcutta, maman. Excuse moi d'avoir vendu la mèche à Ursule mais je n'y tenais plus... Je suis ravie d'épouser Andy mais je panique. Tu as connu ça?
- La panique avant mon mariage, non, tu sais ton père m'a entrainée dans un tourbillon irréaliste qui avalait les turpitudes du quotidien. On planait. C'était l'époque Hippie... Pas Calcutta mais où alors ? Demanda Mameth un brin nerveuse
- A Athènes.
- Athènes?
- Mais quelle idée et pourquoi pas Madrid? Franchement Chloé tu adores déstabiliser ton monde. Plus c'est imprévisible et plus ça te plait, hein ? Ton frère et ton père sont au courant ?
- Absolument je les ai appelés hier. Ils seront là. Evidemment nous vous offrons voyage et hébergement...
- Ca va vous coûter la peau des fesses !... Figure toi que j'y pensais il y a quelques jours à la Grèce et ça ne me remplissait pas de joie... Pour d'autres raisons. Je n'y ai pas vécu des choses très terribles... Faut espérer que j'en garderai un meilleur souvenir cette fois !
- Maman, arrête tout le temps de penser négatif quand je te parle de quelque chose. Fais un effort ! Garde donc pour toi, tes mauvaises impressions et tes trucs ratés !
- Tu te maries quand au juste?
- En septembre. Le 2 . Andy a tout prévu, son avocat a tout organisé.
- Il est richissime cet Andy. Tu le connais depuis longtemps ?
- Depuis que je viens en Inde pour le courtage de mes patrons banquiers. Mais je ne pensais pas que ça irait jusque là.
- Bon Chloé, je suis assomée là, rappelle moi ce soir pour qu'on parle de la cérémonie et du reste. Ok ?... Tu ne m'en veux pas. Quand j'aurai bu mon litre de thé ça ira mieux.
- Non. Je te rappelle. Je t'embrasse.
-Moi aussi.

Mameth resta pensive assise dans son lit. Athènes... Quelle idée! Juste au moment où elle venait de se remémorer un passage peu glorieux de sa vie avec Yannis Pantapoulos. Est ce que le destin voulait la ramener vers cette ile minuscule entre ciel et mer?
Est ce que sa fille avait décidé, après lui avoir offert le chat Luciend'empoisonner sa vie, goutte à goutte, pour se débarrasser définitivement d'elle. Ou bien tout simplement Chloé était elle une excentrique qui ne recherchait que des situations improbables avec des cinglés de la même trempe.
Quand Mameth téléphona à son fils, Guillaume confirma pour apaiser sa mère que sa soeur était quelqu'un d'à part. Que ses choix et ses sentiments étaient différents
de ceux du commun des mortels. Et lorsque Mameth appela son mari, de la Luppa, elle tomba sur un père indulgent qui pensait qu'à sa façon, sa fille était une artiste comme lui. Et puis sans crier gare et juste avant de raccrocher il dit à sa femme :
- C'est bien tout ça. Mon dernier voyage d'homme lucide sur cette terre sera pour fêter le mariage de ma fille. Finalement le bon dieu n'aura pas été trop méchant avec
moi.
Mameth se demanda ce qu'il avait voulu dire. La Luppa n'avait jamais vraiment été lucide... Certainement pas.


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