" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 20

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 20



Semaine 20

Onaké Kikoni avait replié la lettre et l'avait remise dans l'enveloppe.
Elle était restée longtemps assise sur les marches de la maison, triste et sombre, à regarder le vent agiter les arbres, en me tenant serré contre elle. Et puis Onaké fit quelque chose qui lui redonna le sourire. Elle se mit à me parler tout en me caressant :
- Bien. C'est le moment de voir si le moine Kitashiba vit dans un autre monde que le mien. Nous allons faire ce qu'il pense possible. Petit Prince, écoute moi bien.
Pars chercher Kitashiba et ramène le moi le plus vite possible.
Onaké fit exprès de me serrer davantage. Il fallut que je fasse un effort pour me dégager et sauter sur le chemin qui menait au monastère. Elle me regarda étonnée puis amusée.
- Alors le moine aurait dit vrai ! J'ai besoin de lui, va le lui dire !
Elle se mit à rire d'un rire cristallin mais je ne me suis pas retourné pour la regarder. Quand je suis arrivé devant Kitashiba, il me regarda et comprit tout de suite.
- J'arrive. Dit-il.
Onaké nous attendait à la même place. Elle avait toujours le même air amusé et un léger sourire aux lèvres.
- Alors, c'est donc vrai, Kitashiba. Ce chat comprend tout.
- L'essentiel. Répondit le moine. Que puis-je pour toi ?
- J'ai besoin de ton autorisation. Mr de Salles, mon imprésario français, mon ami, vient de m'écrire car il n'a plus longtemps à vivre. Il est seul, terriblement seul et va vivre ses derniers mois dans une maison ayant appartenu à sa mère, sur la Côte d'Azur. Il me dit qu'il pense beaucoup à moi, à ma décision d'avoir tout arrêté, à ma force d'avoir envoyé au diable le Kolonel, à ces tremblements qui m'ont annoncé que les fondations sur lesquelles je voulais batir ma vie n'étaient pas les bonnes, n'étaient pas les miennes et qu'il pense enfin à mon travail et à cette oeuvre que je suis en train de composer. Il regrette de ne pouvoir jamais l'entendre mais pense que là où il ira après la mort, la musique continuera d'habiter son errance. Il dit qu'il a toujours cru en
moi. Il me demande enfin de vérifier que son souhait soit exhaucé à savoir qu'une poignée de ses cendres soit dispersée du Cimetière San Miguele de Venise dans l'eau de la lagune, en souvenir de son seul amour et ami, Pietro Montebello, mort du sida il y a dix ans. Voilà... Mon idée, c'est que si c'est possible, j'aimerais que mon ami de la Salle vienne finir sa vie ici. Ici près de la courtisane Gio et de moi. Il m'a beaucoup soutenu à la mort de mon père. Et je sens, que c'est ce qu'il souhaite, même s'il n'en dit rien. C'est le genre de personne au service des autres, qui ne demande jamais rien, qui a toujours porté sa solitude sans s'en offusquer. Mais cette lettre est la main d'un homme qui se noie tendue vers moi.
- Nous accueillerons ton ami au monastère si tel est ton souhait et le sien. Nous lui fermerons les yeux, avec toi. C'est ma réponse et ça sera celle de mes frères.

Onaké n'avait plus de téléphone portable ni d'ordinateur. Kitashiba lui conseilla de téléphoner du village voisin où il la conduirait dans la soirée. Le monastère vivait sans électricité. Onaké appela de la Salle, à son numéro de téléphone parisien. Un homme jeune lui répondit qu'il était parti la veille pour les environs de Cannes, dans la maison de sa mère. Il lui donna le numéro de téléphone de la maison. Onaké appela. La sonnerie retentit plusieurs fois et quand Onaké allait se résigner à raccrocher, une voix faible et essoufflée lui répondit:
- Allo ! De Salles ....
- C'est Onaké Kikoni, François, j'ai reçu votre lettre.
- Ma chère Onaké, je ne pensais pas que vous souhaiteriez me parler de si loin où vous êtes. Comment allez-vous?
- Moi, je vais bien. Mais vous ?...
- Moi, je vais mourir, je vais rejoindre Pietro, Venise, une vie d'autrefois, heureuse et insouciante. Je suis prêt, Onaké. J'ai simplement peur de souffrir et je suis seul. J'ai peur de manquer de force et de courage.
- François, venez. Venez me rejoindre si vous en avez encore la force. Les moines
du monastère veulent bien vous recevoir et vous soigner. Et je serai là.
Onaké attendait une réponse mais le silence tomba entre eux comme si la communication avait été coupée.
- François ?
Une voix émue et minuscule bredouilla :
- Onaké, c'est insensé, vous avez mieux à faire que de récupérer un mourant.
- Je récupère un ami avec qui j'aimerais discuter encore un peu de musique et de sa vie, de Venise et de Paris, de mes concerts, de nos supplices.
- Onaké!
La voix respira pour reprendre son souffle court.
- C'est un cadeau inespéré que vous me faites. La vie me fait un dernier cadeau
somptueux...
- C'est oui, alors?
- Ca pourrait...
- François, au monastère nous n'avons ni téléphone, ni ordinateur. Préparez votre
voyage, écrivez moi quand vous arrivez à Tokyo et je me charge du reste. Je vous en supplie faites le. Avez vous assez de force ?
- Oui, puis je vais mettre des gens à contribution et en parler avec mon médecin
pour que le voyage soit le plus supportable possible... Onaké vous me
faîtes oublier que ma vie ne tient plus qu'à un fil.
- Une vie comme la vôtre ne tient jamais à un fil, François. Votre générosité en a tissé
beaucoup d'autres. J'attends votre courrier. Je vais raccrocher.
- D'accord.
La voix de de la Salle s'éteignit. Onaké avait raccroché et sortit de la cabine téléphonique comme un plongeur trop longtemps resté en apnée.
Elle était à bout de souffle, au bord de l'étouffement. Le sang battait dans ses tempes.
- Alors ? demanda Kitashiba qui l'attendait dans une camionnette garée un peu plus loin.
- Il va venir. Il va m'envoyer un courrier pour me préciser le jour et l'heure. J'irai l'attendre à Tokyo.
La lettre arriva neuf jours plus tard.
Onaké avait trois jours pour le rejoindre.

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