" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 22

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 22


Semaine 22

Mameth ne voulait plus retourner à Paris. C'était chaque fois pareil quand elle venait à Mallorca. Elle y arrivait à contre-coeur, elle s'y sentait mal les premières heures et puis après, une fois qu'elle s'était habituée aux odeurs, à l'espace, au silence, il n'était plus question de repartir. C'était la même chose avec sa soeur Ursule. Les premiers
mots étaient un peu acides, les gestes éloignés jusqu'à ce que leurs regards se croisent vraiment et se reconnaissent comme dans l'enfance.
Après ça, Mameth prenait pension chez sa soeur. Elle y déjeunait, dînait et y débarquait pour un oui ou un non, sans prévenir. Quand elle se heurtait à la porte close elle filait au potager situé à quelques centaines de mètres et si Ursule n'était pas au potager, Mameth filait sur le sentier vers le lotissement des Acacias faire un tour et se sentait abandonnée.
Cette fois Mameth espérait bien trouver Ursule chez elle, y prendre un café et pouvoir parler de ses préoccupations. Elle avait refusé de prendre le repas de midi, mais là, soudain, sa tomate et ses tranches de saucisson digérées, elle éprouvait le besoin
impérieux de déguster un nectar chaud et suave comme savait si bien le faire sa soeur. Ca allait lui délier la langue et elle allait mettre en pièces, encore une fois, les projets de sa fille, ce mariage insensé, cet étalage irréfléchi d'une fortune arrogante, ce caprice d'adultes immatures.
Quand Mameth poussa la grille de la petite maison d'Ursule, à deux pas de l'épaisse batisse familiale, elle entendit du bruit et fut rassurée. Ursule était bien là.
- Café?
- Oh oui, ça va me détendre.
- T'es pas détendue ici ? T'as pas grand-chose à faire, Mameth !
- J'étais détendue jusqu'à ce que Chloé appelle, figure toi !
- Ecoute ce mariage c'est son affaire. Ca ne te plaît pas, Ok, mais tu t'en fous. Tu n'as qu'à suivre le mouvement... Mais c'est vrai, suivre le mouvement, tu ne sais pas trop faire ça toi ?
- Tu ne vas pas t'y mettre, toi aussi ! S'énerva Mameth
- Non, je t'écoute.
- C'est Chloé qui m'inquiète. Elle épouse un type qui a seize ans de plus qu'elle, qui est divorcé et qui a un fils... Un indien ! Moi, les indiens qui vitriolent leur femme, qui les font avorter quand elles sont enceintes d'une fille et j'en passe, ça ne me dit rien qui vaille !
- Tu parles de quelques extrémistes, de pauvres campagnards illétrés...
- Les indiens sont extrémistes ! Les assassinats politiques, religieux, ça ne te dit rien ? La violence des Sikhs...
- Et Gandhi?
- Un antidote, comme les vaches sacrées. Mais les castes, c'est encore vivace ce truc là, même si les lois sont censées y avoir mis fin. Je ne veux pas faire le procès de l'Inde. Si on regarde chez nous, on trouverait aussi beaucoup à redire, mais moins sauvage, plus...
- Policé, lustré, mais au fond, avec beaucoup de fourberies !.. Bon écoute, Chloé a
choisi cet homme parce qu'elle l'aime. Chloé n'épouserait pas quelqu'un qu'elle n'aime pas. Alors, Indien, français ou autres c'est l'homme qu'elle a choisi. Et je lui fais confiance. Elle n'a pas donné son amourà un voyou. Voilà. Oui, l'Inde c'est loin, c'est d'autres coutumes, c'est d'autres paysages mais si ça lui plait ? Ursule planta son regard sec et vif dans les yeux de sa soeur.
- C'est ça, Ursule, le problème.
- Que ça lui plaise ! Comment tout ce dépaysement peut-il lui plaire ? Chloé a toujours cherché à se singulariser, à faire les choses différemment.
- Elle a toujours eu besoin de se marginaliser.
- Ben oui, les chats ne font pas des chiens. Elle te ressemble et tu ne veux pas l'accepter. Tu ne peux pas supporter qu'elle soit comme toi, mieux que toi, qu'elle
puisse en faire davantage !
- Ressers moi du café au lieu de dire n'importe quoi... La mère jalouse de la fille !... Mais ma pauvre Ursule,je n'ai pas fait quinze ans d'analyse pour entendre ça.
- Eh bien pense à autre chose ou soit un peu plus positive avec Chloé.
- Je vais essayer... Tu es au courant du chaton pour mon anniversaire ?
- Oui tu me l'as raconté quand je t'ai téléphoné. C'est vrai qu'elle aime te provoquer mais apprends un peu à courber l'échine devant elle. Ca risquerait de la désarçonner bien plus que tu ne le penses.
- Tu m'agaces Ursule, tu as souvent raison. C'est très bien qu'on habite loin l'une de l'autre, sinon c'est trente ans d'analyse qu'il m'aurait fallu.
- Et comment va De la Luppa, Mameth?
- Bien. Il médite dans son couvent et il crée. Il fait le vieil artiste, quoi.
- Eh bien, moi, je ne crois pas qu'il aille si bien que ça.
- Ah bon! Et tu as découvert ça comment ?
- Il m'a téléphoné, hier soir. Il m'a dit qu'il était malade. Qu'il fallait que je te l'apprenne avec précaution. Que Guillaume savait mais ne devait rien te dire. Il n'avait pas l'air très sonné. Il m'a parlé du mariage de Chloé et m'a dit qu'il y serait.
- Malade, gravement malade ? Un cancer ?
- Non.... Alzheimer.
- Il se souvient quand même que j'ai une soeur ! C'est déjà ça !... Tel père telle fille !... Mais qu'est ce qu'ils ont tous à passer par toi... Je suis si inaccessible que ça, Ursule?
- En quelque sorte, oui.
- Mais c'est faux. Guillaume te dirait le contraire. Et toi aussi. Parce que Guillaume et moi nous sommes des tendres. Et tu ne t'attaques pas aux tendres. Qu'à ceux qui te menacent. Tu es une espèce de mère louve.
Ursule se leva et enveloppa de ses bras les épaules de sa soeur.
- Mais tu as aussi besoin de chaleur. Et de réconfort.
- C'est vrai tout ça, Ursule.
Mameth se leva en vidant sa tasse et demanda.
- On mange ensemble ce soir ?
- Evidemment.
A ce soir. Je vais préparer mes affaires. Je rentre à Paris demain.


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