" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 23

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 23


Semaine 23

La file des passagers du vol en provenance de Paris-Charles de Gaulle se clairsemait. Onaké attendait. La Salles avait tout prévu. Sa prise en charge dès l'embarquement à Roissy, son voyage en première classe et son transfert à son arrivée à Tokyo. Il reconnut tout de suite Onaké et lui fit un signe en levant le bras. Elle lui répondit de la même façon. Elle retint ses larmes. La Salles était amaigri, le teint jauni, et l'expression de son visage portait déjà les crispations de la souffrance. Ce n'était plus l'homme qu'elle avait vu la dernière fois à Paris, un peu rondouillard, le visage tendre et avenant avec ses lunettes rondes à la Marcel Achard. Ce n'était plus l'homme qui se penchait tendrement vers elle pour écouter ses confidences. Elle se souvenait de lui, la première fois qu'elle le vit à Pleyel en présence de son père. Elle avait dix sept ans, beaucoup d'espérances et beaucoup de peur et il la mit tout de suite en confiance. Il lui fit visiter le théâtre de fond en comble, les invita à déjeuner dans une grande brasserie du côté de l'Elysée et quelques jours plus tard à diner dans son appartement de la rue de Rivoli.
Il fut un excellent imprésario, attentif et exigeant. Le père d'Onaké l'appréciait beaucoup et comme s'il pressentait qu'il n'accompagnerait pas longtemps la carrière de sa fille, il avait souvent dit à Onaké qu' elle pourrait faire confiance à La Salles :
- C'est un homme de goût, exigeant et patient, ma chère Onaké. Un homme de qualité. Et c'est rès rare de nos jours dans ce monde de requins qui ne pensent qu'à s'en mettre plein les poches sur le dos de jeunes interprètes comme toi. Si un jour je ne suis plus là pour te guider, il sera toujours un ami précieux de bon conseil. Et je crois qu'il éprouve à ton égard une réelle tendresse.
Deux ans après, une crise cardiaque terrassait Mr Kikoni et c'est le Kolonel qui reprit le flambeau. La Salles comprit vite que la vie d'Onaké allait beaucoup changer et que sa carrière et son talent étaient menacés. La mère d'Onaké, qu'il avait lui même surnommé le Kolonel tant elle était tatillon, autoritaire et froide, pesait sur sa fille plus qu'elle ne l'épanouissait. La Salles essayait du mieux possible de protéger Onaké
de cette furie jalouse du talent de sa progéniture. Mais Onaké voyageaitaux quatre coins de la planète et son influence était limitée. Peu à peu Onaké devint une bête de scène, faisant la une des magazines, salle comble et d'infernales tournées. La catastrophe n'était plus très loin.
Quand Onaké disparut un beau matin sans laisser d'adresse, La Salles fut surpris, consterné, mais au fond très heureux. Même si la musique perdait une très sensible interprète, douée et fantasque, Onaké avait réussi à se sortir des griffes de sa mère qui la conduisait lentement vers une folie certaine. C'était l'essentiel. Les journaux avaient repris de plus belle leur farandole quand Onaké avait bizarement choisi de tirer sa révérence aux salles de concert. Des bruits abracadabrants sur les raisons de son départ avait couru, des révélations sur son état de santé chancelant faisaient jaser la jet-set et puis elle avait été assez vite envoyée aux oubliettes.
A cette époque là, La Salles avait eue sur le dos plusieurs fois par jour le Kolonel au bord de l'implosion mais il n'avait jamais fait un geste pour faire revenir Onaké. Et
maintenant, plus d'un an après, elle était là, incognito, dans la foule tokyoîte à attendre celui qui allait mourir. La Salles pensa à cette maxime latine qui le fascinait depuis l'enfance car dès son plus jeune âge il avait été un fan de péplum : Morituri te salutant.
Donc le plus naturellement du monde, quand Onaké le serra dans ses bras, c'est cette phrase latine qui lui murmura. Il savait, depuis qu'il l'avait vu la première fois, que s'il avait aimé les femmes, c'est elle et elle seule qui l'aurait aimé. Onaké qui connaissait sa passion pour la Rome Antique lui répondit tendrement :
- Bienvenue dans mes bras, cher gladiateur, explosant en larmes chaudes irrépressibles dans son cou malingre.
La Salles ne dit rien mais pensa que mourir près d'elle serait un peu comme dans les films de sa jeunesse, mourir pour César. C'était une belle mort.

 

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