" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 27

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 27


 


Semaine 27

Certaines nuits, je restais au couvent des moines, loin d'Onaké, dans la chambre où La Salles avait été installé. Il arrivait que La Salles se réveille en pleine nuit et ma présence sur son lit le rassurait. Je m'approchais jusqu'à ce qu'il puisse me caresser et ça nous faisait du bien à tous les deux.
Les matins pairs de la semaine, le jeune grand moine qui avait sauvé Onaké de la noyade sortait La Salles du lit et le portait dans ses bras jusqu'à la forêt de bambous, au dessus du lac, où coulait une source chaude. Au pied de la source l'eau était recueillie dans une petite baignoire de galets polis. Le moine Giu y déposait le corps malade et ensuite le frictionnait vigoureusement avec des branches de plantes sauvages qu'il avait ramenées dans son sac.
La Salles ne se plaignait jamais. Depuis qu'il était arrivé, il s'en était remis aux bons soins des moines du couvent qui appliquaient une médecine très différente des méthodes occidentales. Bien sûr, La Salles continuait à prendre les médicaments prescrits par les docteurs de l'hôpital, mais il buvait aussi sans rechigner les potions concoctées par le moine Giu. De toute façon, Giu ne parlait pas anglais et La Salles ne parlait pas japonais. Grâce aux mixtures du couvent, François de La Salle prenait
moins de morphine. Moitié moins. Il profitait davantage des journées qu'il avait à vivre.
Onaké venait le voir certains après-midi et parfois c'était lui qui rendait visite à la pianiste, accompagné par Giu. Elle lui parlait souvent de son travail. Il lui parlait souvent de son amoureux vénitien mort noyé dans la lagune après une stupide
collision entre deux bateaux. Il lui racontait comment une vie heureuse avait basculé d'un coup. Comment on regrettait de ne pas en avoir assez profité. Une fois déjà, Onaké avait interprété au piano le premier mouvement de son concerto. La Salles avait écouté assis dans les coussins près de la cheminée en fermant les yeux. Quand il les avait réouverts, ils étaient brillants de larmes contenues et il hochait la tête en souriant.
- J'espère que tu vas travailler assez vite pour que je puisse entendre la fin. C'est une oeuvre maîtresse qui pointe son nez, Onaké. Si rien ne t'arrête, ça sera une oeuvre maîtresse, je t'assure...
- N'exagérons pas ! S'écriait Onaké rouge de plaisir comme une enfant qu'on complimente. Tu exagères ! Ce n'est pas classique, certes, mais ce n'est pas renversant non plus... Je tiens un fil, François, juste un fil !
- Alors tiens le bien !

Il arrivait que La Salles ait la force de rentrer au couvent à pieds. Il marchait lentement à côté de Giu qui avançait à son rythme. Il traversait le petit bois de hêtres et de ginkos qui s'étirait le long du chemin de terre qui séparait la maison d'Onaké du couvent. Je connaissais ce chemin par coeur. Le matin quand La Salles se réveillait et partait déjeuner au réfectoire ou prendre son bain, je me faufilais pour retrouver la maison. Je sautais sur le rebord de la fenêtre et je tambourinai au carreau jusqu'à ce qu'Onaké vienne m'ouvrir. Le soir je regagnais le couvent pour être près du malade et éloigner les ombres du mal autant que je pouvais.
Une après-midi, en revenant de chez Onaké, La Salles eut besoin de s'asseoir contre un arbre. Il tremblait de fièvre et dégoulinait de sueur. Ses grosses lunettes à la monture ronde et noire glissaient de son nez. Giu s'accroupit près de lui, lui retira les lunettes, l'allongea et s'assit. Il prit ensuite la tête de François La Salles sur ses cuisses et l'épongea avec un linge qu'il sortit de sa besace. Giu, se mit alors à chanter doucement. Le chant qui sortit de sa bouche fut "Sole mio". La Salles surpris et ahuri voulut se redresser brutalement mais Giu appuya fermement sur sa poitrine et
l'en empêcha. Comment ce jeune moine qui n'avait jamais quitté la campagne et les forêts au dessus de Kyoto pouvait-il connaîtreet chanter si suavement "Sole mio". François ferma les yeux. Il avait peut-être un malaise particulier qui lui provoquait des hallucinations.
Mieux valait ne pas lutter. Ca ne servait à rien d'avoir peur de partir vers les limbes. Il se laissa aller et revit ce jour de Juillet 87 àVenise, sur le vaporetto qui venait de quitter la station de la Salute en direction du Lido. Il était autour de vingt et une heure. Le bateau était presque vide. Il fila vers l'arrière pour voyager assis à l'air
libre. Il y avait un homme seul, de son âge, qui lisait le journal. Il lui fit un signe de tête pour le saluer puis releva quelques secondes plus tard, une seconde fois la tête du journal, en souriant.
- Français n'est ce pas ?demanda l'homme en chemise blanche
- Oui... ça se voit tant que ça ?
- Pas mal !... mais c'est un compliment.
L'homme italien parlait presque sans accent.
Quand ils débarquèrent au Lido, François le suivit au restaurant où il avait ses habitudes. Quand ils entrèrent et que l'homme à la chemise blanche et aux cheveux noirs et épais le pressa délicatement à l'épaule pour qu'il avance, il y avait en sourdine, une petite musique de fond et c'était Rugiero Raimondi qui chantait "Sole mio".
- Giu! Com....
Giu posa sa main sur la bouche de La Salles et se tut. La chanson était finie. Giu retira sa main et aida François à se relever. Il lui chaussa les lunettes sur le nez et lui sourit fièrement. Alors, La Salle osa faire ce qu'il n'avait jamais osé durant les promenades. Il s'appuya sur l'épaule solide de Giu pour avancer. Comme autrefois sur l'épaule de
l'homme à la chemise blanche.




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