" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 59

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 59


semaine 59

Sébastien sortit de l'hôpital un mercredi après-midi. Il était palot et amaigri. Le chirurgien avait confié à Nounou Odette qu'il avait évité la mort d'un cheveu. Sa mère, son beau-père et les jumelles lui avaient rendu visite quelques jours avant sa sortie, quand son état ne nécessitait plus de soins particuliers. En les voyant, Sébastien avait eu peur qu'ils viennent le chercher pour le ramener dans son lieu de supplice et la fièvre était remontée le soir même, tenace jusqu'au petit matin. La nuit avait entraîné l'enfant à la limite d'un état convulsif, malgré les fébrifuges administrés.
L'infirmière en chef l'avait fait remarqué à l'interne de service qui l'avait mentionné dans le bulletin de santé destiné aux services sociaux. Le médecin avait noté :
" Présence familiale très anxiogène pour l'enfant. - et il avait souligné anxiogène- Eviter si possible toute visite pendant la convalescence.".
Nounou Odette avait été informée dès le lendemain.

Odette aimait bien cet enfant doux et rêveur qui pouvait rester des heures assis dans la cour de sa ferme sans rien dire ni rien demander. Comme les autres qui étaient passés chez elle avant lui, Pierre, Thibaud, Margot, Stella et Petit Jean, il avait subi et supporté sa dose de méchanceté et de bêtise humaine. Odette ne jugeait pas. Elle était là pour réparer si c'était possible. Odette savait très bien de quoi il retournait. Et elle s'en souvenait très souvent. Elle repensait presque tous les soirs au père Marcel, son père, veuf à trente huit ans et laissé en plan avec quatre enfants. Il était devenu mauvais, presque du jour au lendemain. Il s'en était d'abord pris aux bêtes qu'il bousculait à coup de galoches, puis aux deux garçons et aux deux fillettes. La petite Odette, la plus jeune des quatre, en frictionnant le soir ses bleus dans son lit, pensait que sa mère avait dû emporter avec elle tout l'amour qui avait uni la famille. Elle se
souvenait de la cuisine chaude et parfumée par le gratin de patates qui cuisait au four, des éclats de rire, du visage heureux et rougi par le froid de son père quand il rentrait de la grange où il avait été fendre du bois. Elle se souvenait du désert glacial qu'était devenu la pièce, la mère enterrée, des gueulantes du père qui claquait la porte au
retour des moissons en se plaignant qu'il en avait marre de bouffer de la soupe midi et soir, des pâtes molles et fadasses et des steaks hachés cuisinés par le frère ainé qui en prenait plein son grade. Elle savait ce qu'était le désamour et l'ingratitude. Il y avait des hommes qui ne supportaient pas le malheur. Il ne voyait pas les autres dons de la vie. Il ne voyait que ce que la mort leur avait pris injustement.

Odette ne s'était jamais marié. Ses frères et sa soeur, tous s'en étaient allés loin avec leurs conjoints et leurs gosses. Elle avait repris la ferme sans se poser de questions et c'était spécialisée dans la culture des légumes et dans l'élevage de la volaille de qualité. Les meilleurs restaurants s'approvisionnaient chez elle. Elle était secondée
par des gars ou des femmes en réinsertion qui restaient un trimestre, pas plus. Certains revenaient la voir régulièrement le dimanche pour déguster invariablement une volaille accompagnée de patates cuites au jus et de salades du jardin. Les invités amenaient généralement le dessert. Odette avait suivi une formation d'assistante sociale qu'elle avait abandonnée à la mort du père pour prendre la direction de la ferme laissée en héritage. Elle était satisfaite de sa vie. Avec le poids des années elle avait laissé tomber l'aide aux adultes et s'était tournée vers l'accueil des enfants en difficulté.
A peine revenu à la ferme, Sébastien s'était précipité dans la grange. Il se hissa sur l'échelle et écouta si un bruissement venait du foin entreposé sur le plancher de l'étage, comme le lui avaient prédit Ronrono et Le Chat. A mi hauteur, il vit un chaton se pencher vers lui, avec de grands yeux bleus éblouis et curieux.
- N'aie pas peur, chaton, c'est Le Chat, ton père, qui m'envoie. Et Ronrono.
Sébastien monta de quelques barreaux et attrapa l'animal qui se laissa faire. Il le glissa dans son anorak et traversa la cour de la ferme comme une fusée. Il entra dans la cuisine. Il n'y avait personne. Odette était partie donner du grain aux pintades. Quand elle revint, elle trouva Sébastien près de la cheminée. Il tenait dans ses bras une boule de poils endormie.
- Ah, ça mon petit, ça va pas pouvoir le faire ! Je suis allergique aux chats !
- C'est quoi allergique, Odette ?
- Je supporte pas. Je tousse, je pleure, je gonfle.
- Ah! dit Sébastien.
Il retenait les larmes qui serraient sa gorge à l'étouffer.
- Comment je vais faire alors ? J'ai promis....
- Tu as promis à qui ?
- A Ronrono Chapati et à son père qui m'a sauvé la vie. C'est un chat léopard qui est venu me voir à l'hôpital quand j'étais malade.
- Ah, d'accord! Alors ça change tout, bonhomme. On va certainement trouver une solution.
- Oui s'il te plait, Nounou Odette, trouve une solution.
Odette regarda Sébastien en souriant. Sébastien venait de lui rappeler pourquoi elle était faite. Croire aux belles histoires et savoir trouver des solutions aux malheurs des autres. Sébastien serait sans doute le dernier gamin dont elle s'occuperait. Et la providence l'avait gâtée. Cet enfant était poète et il lui disait souvent ce qu'elle
souhaitait entendre.


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