" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 8

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 8

                                  semaines 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

 

Semaine 8
Mameth Levantre avait trois amis.
Nicole Burette, divorcée, mère d'un fils trentenaire qui vivait loin d'elle à Madrid. Elle était professeur de français, éternellement épuisée, déprimée, et depuis septembre, elle n'arrêtait pas de penser à sa retraite prochaine et à son train de vie qui en serait forcément modifié. Ce changement l'effrayait autant qu'il la soulageait.
Jean Poitevin homosexuel un peu plus jeune que les trois dames, était négociant en vins à Fronton et venait passer tous les week-end à Paris. Il gagnait bien sa vie, était généreux, drôle, patient, élégant et sa vie sentimentale aurait pu inspirer une dizaine
de volumes de la collection Arlequin. Un ami presque parfait!
Laurette Lestelle était une mosaïste de renom qui travaillait surtout en Floride
et sur la côte Ouest des Etats Unis pour décorer des fonds de piscines et des murs de jardin. Elle vivait seule à Miami. Quand elle débarquait àParis, environ une fois par mois, elle logeait trois ou quatre jours chez Mameth. Elle en profitait pour aller voir sa mère restée paralysée suite à un avc. La vieille dame était soignée dans une maison
spécialisée, en banlieue. Laurette portait souvent des lunettes noires, faisait et défaisait ses cheveux blond vénitien attachés en catogan, soupirait et montrait bien qu'elle accusait avec de plus en plus de difficultés les décalages horaires, se tenant le front comme pour vérifier qu'elle n'avait pas de fièvre ou que sa tête n'allait pas se
détacher du cou et tomber par terre d'épuisement.
Tous les quatre avaient fait leurs études à Toulouse, du temps où c'était une ville
provinciale tranquille et sans envergure. Ils ne s'étaient jamais totalement perdus de vue, même s'ils avaient passé de longues périodes éloignés les uns des autres. Depuis deux ans, depuis que José de la Luppa, le mari de Mameth avait définitivement quitté l'appartement de larue des Remparts, ils se réunissaient le dimanche soir, pour dîner chez Mameth. Ils se consolaient comme ils pouvaient de vieillir seuls ou presque. Ils riaient, se souvenaient, se souvenaient énormément, de toute sortes de choses, de choses faites ensemble autrefois, buvaient, mangeaient, se tiraient les cartes, et
refaisaient un monde improbable comme quatre ados inconséquents, critiquant des hommes au pouvoir, des médias, des voisins, des connaissances, pour en porter d'autres au pinacle, sans qu'on saisisse bien ce qui différenciait les bons des mauvais. Et tous ces discours étaient variables d'un dimanche àl'autre, et se contredisaient même assez souvent.
Un soir, à cause de moi, il y eut du riffifi et j'ai bien cru qu'ils allaient se quitter
fâchés, ce qui m'inquiéta et m'empêcha de dormir vraiment. Mameth avait attaqué quand Nicole avait refusé tout net de venir me donner à manger pendant que Mameth partait quatre jours à Mallorque:
- Si je comprends bien, personne pour me dépanner. Nicole y a que toi, qui peut vraiment me rendre ce service. C'est pas Laurette ou Jean, ils sont là en pointillés. Mais toi, Nicole, je ne te demande pas la lune. C'est pas compliqué de passer le soir ici pour donner à manger au chat. Eh ben, non, tu es fatiguée, tu as tes copies àcorriger... Tu les as corrigées,là, tes copies, avant de venir dîner ?... Et alors toi, Laurette, dire
que tu la comprends, ça me scie... Tu comprends quoi ? De quoi tu te mêles? Contente-toi de boire du champagne au bord de tes piscines et fiche moi la paix!
- Arrête, Mameth, tu exagères... Laurette te demande de comprendre... Tu sais bien que Nicole est au bout du rouleau...
- Mais je ne suis pas au bout du rouleau, Jean. Tu parles de moi comme d'une vieille qui va passer l'arme à gauche... Au bout du rouleau... J'ai simplement un travail épuisant. Vous le savez bien, que je sature...
Alors me coller une corvée de plus sur le dos, merci bien !
- Ben, c'est ça rendre service, Nicole, excuse moi... C'est pas forcément faire un
truc qui amuse... Tu veux peut-être que je t'envoie un taxi à la sortie de ton bahut pour t'amener jusqu'ici....
- C'est une idée, ça, Mameth, tu pourrais lui payer un taxi, soupira Laurette qui remit ses lunettes aux verres teintés pour atténuer le regard mitraillette de Mameth remontée comme une pendule.
- Ben, dans ce cas, Nicole dors aussi chez moi et vide le frigo... Sans blague, tu sais si ça t'arrange, tu peux faire ça, Nicole. Installe toi ici pendant trois jours...
- Ecoute, Mameth, j'ai mes habitudes. Venir ici, c'est pas pratique le lycée est
dans le 17ème. De chez moi, c'est direct. D'ici ça va être galère.
- Bon, les filles, on se calme. Mameth, file le à ton fils, ce chat. Comme ça ça reste une histoire de famille...
Jean s'esclaffa de rire mais les trois femmes le fusillèrent du regard. Il se sentit idiot. Parfois elles étaient cruelles et injustes.
- C'est ce que je vais faire, Jean, mais franchement je pensais que Nicole pouvait bien me rendre ce service.
- Eh bien elle ne peux pas, trancha Laurette qui se tenait le front depuis le dessert et qui était au bord de l'implosion... Cette Chloé, quand même ne manque pas d'air. Elle t'a mis dans un pétrin pas possible avec ce chat... Ma pauvre Mameth!
- Laisse Chloé, là où elle est. Chloé, ça me regarde.... Et j'aurais préféré que Guillaume ne soit pas mêlé à toutce bazar !
Mameth détestait qu'on débine ses enfants et elle avait d'habitude la dent dure contre ceux qui osaient. Mais, là, elle se tut, sentant le clash imminent. Mameth se contenta de froncer les sourcilset servit machinalement du champagne. Tout le monde vida sa coupe. L'atmosphère se détendit quand elle s'écria d'une voix enjouée :
- "Santé, mes amis!".
Nicole fit amende honorable et les cernes noires sous ses yeux jouèrent en sa faveur:
- Je suis désolée, Mameth, j'aurais aimé te faire plaisir. L'an prochain, quand je serai à la retraite tu pourras me demander ce que tu veux. Jean, finalement a raison, cette année je suis au bout du rouleau avec ces 1ère S qui sont des têtes à claque. D'odieuses têtes à claque. Pas un pour racheter l'autre. La plus mauvaise classe de ma carrière...
Nicole prit Mameth par le cou. Mameth l'embrassa sur la joue.
- Ca va. On n'en fait pas un fromage... Jean, tu prends le dernier morceau de tarte ?... Et puis je vous mets dehors. Regardez, Laurette! Elle s'endort.
- C'est vrai. J'ai terriblement mal aux yeux et au crane. Jevais espacer mes voyages. Ce n'est plus de mon âge ces escapades parisiennes. Tant pis pour ma mère... De toute façon je l'ai trouvée très mal en point et ça s'aggrave de mois en mois. Bientôt elle ne me reconnaitra même plus. ... Vous viendrez me voir à Miami.
Jean se souvint alors du dernier voyage qu'ils avaient fait tous les quatre, il ya une dizaine d'année, au Portugal. Pendant qu'il s'habillait, tout en aidant Nicole a enfiler son manteau, il continuait de raconter. Par moment, ils éclataient de rire tous ensemble en évoquant le souvenir d'un jeune homme gaulé comme une star de Hollywood, qu'ils avaient pris en stop. Arrivés sur le palier, Mameth, mit fin aux histoires parce qu'ilétait minuit passé et que les voisins allaient se plaindre. Ils
s'embrassèrent et se dirent à la semaine suivante. Pas un ne fit attention à moi et en passant devant le fauteuil Voltaire où je faisais semblant de dormir, pas un ne me fit une caresse. Ce n'est que lorsque Laurette partit se coucher que Mameth s'approcha de moi et me dit :
- Tu as été tellement sage, Lucien que je t'avais oublié. Laurette part dans trois jours et on va se retrouver tous les deux en amoureux. Enfin pas longtemps parce que je dois partir le lendemain à Mallorque. Mais je reviens vite, t'inquiète pas. En attendant tu iras chez Guillaume, à moins qu'il s'installe ici.
Je me suis levé et j'ai suivi Mameth dans sa chambre pour dormir près d'elle sur l'oreiller voisin. En passant devant le bureau, on entendit ronfler Laurette.
- On s'arrange pas... murmura Mameth. Moi aussi, je ronfle, Lucien ? me demanda Mameth.
Elle n'écouta pas la réponse... C'était oui. Elle venait d'allumer le radio-réveil de sa table de chevet. C'était les infos de la mi-nuit qui s'éternisaient. On venait de tirer sur le maire de Marseille qui sortait de l'Opéra. On était sans nouvelles précises de son état et les journalistes campaient devant l'hôpital de la Timone. Cette affaire coupa le sommeil de Mameth qui chercha son paquet de cigarettes dans le tiroir, se cala dans les coussins et fuma tranquillement sa clope en écoutant les tergiversations journalistiques que suscitaient cette tentative d'assassinat. Il ne manquait plus que ça avant les élections!
Elle me regarda et ajouta:
- Tu t'en fous, mon brave Lucien... Tu as raison. Allez, on dort !
Elle écrasa la cigarette à moitié consumée dans le cendrier, alla le poser loin du lit, sur le bureau, se rallongea et éteignit la lumière. Dix minutes après, elle ronflait comme Laurette et je m'endormis aussi pour de bon, bercé par cette ronronnade de dames mûres.


 

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