" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 10

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 10


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Semaine 10

Je n'en menais pas large sur l'île d'Antisoros. Les trois fils de la chatte Kali m'attendaient toujours au tournant si je m'éloignais trop du village. S'ils n'osaient pas me mettre en pièce ils s'arrangeaient toujours pour me castagner à coup de griffes et me mordre quand je traînais dans un coin désert. A cause de ça, je quittais peu la cour de la maison et quand je m'ennuyais ferme en compagnie du Brigadier, de la chatte bottée et d'Onassis, je me risquais dans la rue principale. Si je croisais Kali et ses fils devant leur QG, l'auberge de Patalina, ils se contentaient de m'insulter mais n'osaient aucune attaque. Même s'ils savaient qu'ils risquaient de le payer cher, dans une ruelle sans témoin, ils auraient cherché à m'arracher un oeil d'un coup de pattes griffues. On racontait que le chat du boulanger qui avait déchiré l'oreille du Brigadier, avait fini empoisonné, se traînant la nuit suivante en miaulant de façon monstrueuse et en vomissant ses tripes.

Heureusement, quand la mi mars est arrivée, Yannis Pantapoulos a recommencé à sortir de chez lui pour passer de longues heures au campingprès de la plage de San Iorgos. Un matin de soleil presque chaud, il me glissa dans sa veste et enfourcha sa mobylette. On partit à l'opposé de chez lui et on laissa le centre du village derrière nous, soulevant sur le chemin, un nuage de terre blanche et fine. Quand on arriva au
camping, Yannis gara la moto devant la réception barricadée et me sortit de sa veste. Je le suivais partout où il allait, la queue droite comme un i et raide de contentement. On traversa le camping sablonneux, silencieux et sans âme, sous le soleil de ce début de printemps. On arriva au petit port de San Iorgos. Les feuilles argentées de l'olivier
bruissaient sous la brise marine. Le petit mur de pierres plates dans lequel je m'étais mis à l'abri, le jour où Yannis m'a découvert, commençait à tiédir en ce début d'après-midi. Pantapoulos y posa son derrière et alluma une cigarette. Il regarda droit devant lui comme s'il contemplait la mer étale, puis avec une voix grave qui parlait au bon dieu et aux anges, il se mit à me faire des confidences :
- Tu vois Bradpitt, je ne sais pas pourquoi, ça ne s'explique pas ces choses là, mais tu me rappelles beaucoup Mameth... Comment un chat peut-il faire penser à un humain ? Mystère !.. Mameth, ça ne date pas d'aujourd'hui.
J'étais jeune et beau, comme elle, et à l'époque je n'aimais pas beaucoup les chats. Je me prenais pour un dieu et je me croyais tout permis. C'est ici que je l'ai vue, la première fois, cette Mameth.
Presqu'exactement à l'endroit où tu t'étais planqué. Quand je t'ai trouvé, j'ai tout de suite pensé à elle. Va savoir pourquoi ? A cause de tes yeux dorés, peut-être. Les mêmes que les siens. Cette fille m'a tout donné et m'a tout pris. Elle n'a jamais su tout le mal qu'elle m'avait fait... Je ne sais pas pourquoi quand je te tiens contre moi, il me
semble que je ressens la tiédeur de sa chair, quelque chose de son parfum... Tu sais, sauf depuis que tu es là, je ne pensais plus trop à elle. Et ça valait mieux. Penser à elle, fait revenir le malheur.
Mameth, c'est une histoire vieille de quarante ans qui a fait basculer mon existence dans le cauchemar et a fait de moi un pauvre type qu'on déteste... et qui n'est pas fier de lui. Toute l'île m'en veut et ils seront contents quand je crèverai.
Je m'étais allongé à ses pieds, dans un rayon de lumière qui filtrait à travers le feuillage de l'olivier. Je le regardais et je l'imaginais, autrefois, assis sur ce même mur. Il avait dû regarder Mameth avec ce même regard éperdu qui contemplait maintenant la mer.
Ses yeux noirs devaient être encore plus profonds et rêveurs. Et puis j'imaginais Mameth, un peu plus loin sur la digue où était amarrée la barque de pêche, les pieds pendants au dessus de l'eau. Elle avait du soleil dans ses yeux pétillants et le vent décoiffait ses cheveux roux.
Un maillot une pièce habillait son corps laiteux. C'était une belle image comme à la télé. Mais quelque chose n'avait pas collé entre eux.
Yannis écrasa sa cigarette et se leva tendu:
- Bon, c'est pas tout, ça, Bradpitt, de ressasser. Y a le camping qui veut se refaire une beauté avant l'été. Va falloir se mettre au boulot. Il s'en fout, le camping, de ce qui s'est passé ici !... Hein ?... Faut que je le bichonne, ce camping. Cette année encore faut remplir la caisse.

L'après-midi passa merveilleusement. Pendant que Yannis Pantapoulos faisait le tour du propriétaire et commençait un grand ménage, je pouvais enfin musarder au grand air sans risquer la castagne. Derrière la petite plage bordée de galets s'étendaient des dunes de sable. Je ne m'y aventurais pas. Le sable des dunes était pour moi comme un marécage dans lequel mes pattes s'enfonçaient et se paralysaient. Je restais
prudemment sur les cailloux et le sable tassé, léchés par la mer salée. Je marchais au bord de l'eau en évitant de me mouiller les pattes, quand elle est sortie de je ne sais où. Quand je la vis, elle était debout, les quatre pattes noires rassemblées sur le sommet d'un rocher arrondi. Elle était blanche et noire, dodue et pas très grande,
et elle me regardait en souriant. Elle faisait le gros dos comme si elle sortait d'un profond sommeil. Je me suis arrêté sans la quitter des yeux. Elle ne me voulait pas de mal mais ici j'avais appris à me méfier de tout. Et là, une chose incroyable se passa. Je me sentis couillu. Ca se mit à frémir dans mon arrière train, sous mon ventre. Quelque chose que je ne connaissais pas mais qui me plaisait infiniment. Quand je me
décidais enfin à aller vers elle, j'entendis la voix de Yannis:
- Hé! Bradpitt, on met les voiles ! Arrive ici, le chat ! Arrive vite mon petit !
J'aurais volontiers désobéi à mon maître parce que je sentais de la chaleur entre mes cuisses mais j'avais peur qu'il me plante là et qu'ensuite je sois obligé de rentrer par mes propres moyens, au péril de ma vie.
J'ai donc tourné à contre-coeur les talons, en direction du camping.
Yannis était debout, sous l'olivier et il contemplait encore la mer en recrachant des bouffées de fumée. Il m'attendait. Quand il me vit arriver à l'autre extrémité du mur, il avait l'air triste et fatigué. Il murmura en baissant la tête:
- Pour la peine, pour toutes ces mauvaises pensées, on va passer par le cimetière avant de rentrer. On vaaller s'excuser encore une fois. Viens.

Le cimetière s'étalait sur la partie haute du village et dominait le toit des maisons
du village. Il devait être battu par le vent quand le Meltémi se mettait à souffler. Yannis me garda dans sa veste. Le jour déclinait mais on lisait très bien les noms inscrits sur la stèle en marbre devantlaquelle Yannis Pantapoulos était planté, raide comme un piquet :
Irina Pantapoulos 1953-1978 et dessous, Iorgos Pantapoulos 1977-1978.



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