" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 56

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 56


Semaine 56

Roger était allongé au soleil sur une chaise longue dont la toile rayée sentait un peu le moisi. Par terre à côté de lui, une tasse de café ébréchée, à moitié pleine, était à portée de sa main et de temps en temps il la saisissait pour la porter à sa bouche, avaler une courte gorgée, sans regarder ce qu'il faisait. Il était absorbé, complètement absorbé par sa lecture. La visière de sa casquette, en le protégeant de la luminosité, lui facilitait la lecture. Il était sous le charme.
J'étais allongé sur le perron, le ventre sur le ciment tiède, les yeux mi-clos.
Depuis quelques jours, après le déjeuner, Roger s'installait à la même place pour dévorer le manuscrit que lui avait confié Mameth. Moi aussi, je venais somnoler près des marches pour lui tenir compagnie. Roger m'aimait beaucoup. Beaucoup plus sereinement que Mameth triturée par ses sautes d'humeur et à Mallorca, Mameth était encore plus imprévisible qu'à Paris. Le midi, Ursule, sa soeur, venait manger avec nous et le soir nous allions chez elle. Les deux soeurs ne passaient pas un repas sans se disputer. Roger continuait tranquillement son repas comme si de rien n'était. Quand Mameth le prenait à partie il lui donnait toujours raison mais il savait le faire sans blesser pour autant Ursule. Il employait des conditionnels, des "il me semble" et des " c'est bien possible" tout en adressant des sourires discrets à Ursule qui demandait compréhension et indulgence. Surtout depuis qu'il lisait les Mémoires de Mameth, un pur chef-d'oeuvre sur l'Indochine des années 30.
Mameth lui apparaissait purement et simplement un écrivain génial qui pouvait se permettre d'avoir un caractère chatouilleux.
De son côté Mameth n'avait pas cherché à savoir ce qu'avait bricolé Roger au Vietnam. Sans doute des trucs pas reluisants qu'elle préférait ignorer.
Roger se la coulait douce au milieu des deux femmes. Dans la journée il bricolait et rafistolait la maison de Mameth. A l'occasion, il rendait aussi service à Ursule qui habitait une maison en bien meilleur état mais qui faisait prospérer seule un grand
potager qui lui mangeait les trois quart de son temps.
Après avoir découvert les meubles rapatriés d'Asie qui décoraient la chambre de Mameth, Roger s'était mis à parler de Saïgon. Mameth l'avait laissé parlé. Il lui racontait un autre pays, un Saïgon peuplé de GI américains, de prostituées, de poudre blanche remplaçant les fumeries d'opium, le 20ème siècle en marche vers son zénith. Il racontait à Mameth, un monde déchiré qui n'avait rien à voir avec celui qui avait vu
naître sa mère, cette petite fille rousse née de pauvres parents exilés, devenus planteurs d'hévéas. Mameth ne connaissait qu'une Indochine racontée par cette femme qui avait quitté la luxuriance des plantations, la mansuétude des domestiques anamites, une maison coloniale aux tentures soyeuses pour rencontrer un pays de quatre saisons, froid, tiède et chaud où personne n'avait vraiment prit soin d'elle et où elle avait très vite renoncé de vivre.
Un soir, à table, Roger osa une question :
- Votre livre, Mameth, vous l'avez envoyé à des éditeurs ?
- Oui, oui. Guillaume connaissait quelqu'un d'influent et je lui ai fait parvenir le manuscrit.
- Et alors ?
- Et alors, on m'a téléphoné assez vite pour me dire que c'était très bien et qu'ils voulaient bien l'éditer.
- Mais c'est super, il va paraitre quand ? Demanda Roger tout sourire.
- Jamais. Ils m'ont pris la tête en me disant que ça allait faire un tabac parce qu'ils avaient été complétement charmé, qu'on me conseillerait pour les interviews, les passages télés, que je n'avais pas à m'en faire. J'ai réfléchi et me suis dit que je n'avais pas envie de devenir une bête de foire. Je les ai rappelés pour leur dire que finalement je ne signerai pas leur contrat. Ils ont cru que je faisais monter les enchères. Bref, des nazes. J'ai raccroché et on en est resté là.
Roger avait la bouche ouverte comme un poisson qui suce le verre de son bocal. Puis il se reprit et lança:
- Mais enfin, Mameth, votre livre est un chef d'oeuvre ! Les gens ont le droit de le lire. Je pense que vos parents aimeraient que ce livre soit publié.
- Laissons les morts où ils sont, Roger. Et les gens, comme vous dites, ils ont des tables entières de best-sellers à se mettre sousla dent. Ils peuvent se passer du mien.
- Mais vous seriez riche.....
- C'est ça... et célèbre. Ecoutez Roger, arrêtez de dire des âneries. Dites plutôt à Ursule que son cassoulet est divin... On n'est pas pauvre, hein ? On mange à notre faim, n'est ce pas ? Pourquoi voulez-vous que j'aille faire le zouave à la télé ?
Roger plongea le nez dans son assiette. Il avait déçu Mameth. C'est vrai qu'il avait été très con. Mameth était à cent coudées au dessus de tout ce tralala. Et puis si le livre était publié, Mameth disparaitrait de sa vie, évidemment. Mameth avait bien raison. Il était très con. Il ferait mieux de la fermer.


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