" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 16

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 16


Semaine 16

Mameth décida de rester plus longtemps que prévu à Mallorca. Elle appela Guillaume un matin et le surprit à moitié réveillé au dessus de son bol de café. Elle prétexta que le voyage pour arriver dans le sud avait été bien long et que rester si peu de temps ne valait pas le coup. Trop de fatigue pour pas grand-chose. Et puis maintenant qu'elle était là bas au calme ça ne lui disait trop rien de retrouver le tohu-bohu parisien.
Elle se ressourçait. Guillaume la rassura et lui dit que de rester rue des Remparts pour me nourrir ne le dérangeait pas du tout.
- Je passe très peu de temps dans l'appart avec Lucien mais il a l'air de très bien supporter la solitude... hein Lucien ?
J'ai léché une patte pour la passer autour d'une oreille ce qui voulait dire que je m'en accommodais. Mameth m'a soit disant dit quelque chose au téléphone mais je n'ai rien compris. J'ai deviné que c'étaient des paroles aimables. Mais les chats comprennent assez mal les téléphones.

Le fait est que Mameth n'était donc pas prête de revenir. J'allais apprendre à me morfondre des journées entières. Mais ce fut l'occasion inattendue de découvrir que le vasistas de la salle de bain surplombait une cour arborée et une belle pelouse rasée de frais. Dans cet espace vert, ça sentait terriblement bon le grand air et je restais des heures sur le rebord de la lucarne ouverte à rêver de campagne. Je me rendis alors compte qu'en fait de là, je pouvais rejoindre Mameth à Mallorca et si elle ne pouvait pas me voir, moi, j'étais mystérieusement transporté auprès d' elle et je ne perdais pas une miette de ce qu'elle faisait...
Dans le jardin de Mallorca, ça sentait le même bon air vif que sur l'aplomb de ma petite fenêtre. Ursule, la demi-soeur de Mameth n'arrêtait pas d'aller et venir ce qui provoquait parfois l'énervement de Mameth. Car Mameth, seule dans la grande maison familiale, rentrait dans les profondeurs de son existence passée et ne souhaitait pas être dérangée dans le labyrinthe de ses rêves. Elle n'était plus la même qu'à Paris. Ici, dans la maison des souvenirs, elle redevenait la lionne solitaire qu'elle avait toujours été et elle déterrait ses trophées de chasse. Quand elle s'asseyait dans le grand fauteuil à l'ossature de bambou vert foncé, elle sentait tout contre elle, comme la présence d'unange, sa mère disparue. Elle l'écoutait lui parler du marché de Cholon, de celui de Binh Tanh, du boulevard Pasteur et de la rue verdoyante derrière le consulat où la famille habitait jusqu'à sa naissance. Les origines de sa mère étaient restées et s'étaient perdues dans les dédales de Saïgon. Mallorca étaient la maison de la retraite, du repli, de l'exil éternel. Mameth s'épuisait vite maintenant à remuer ce passé déchirant. Elle ferma les yeux et le laissa redevenir immobile. Mais dans la rangée des grandes boîtes de nacre alignées sur l'étagère tarasbicotée en bois de palissandre, elle se souvint que la boîte au dragon contenait des photos bien plus récentes que celles de l'enfance en Asie. Elle se leva , saisit le petit coffre au dragon et vint se rasseoir dans le fauteuil. Il y avait des photos de jeunes-gens soixante-huitards, beaucoup de photos de voyages d'Italie et de la côte Adriatique, des photos d'Amérique du Sud et du Nord. Il y avait aussi des photos de La Luppa , au moment de leur rencontre, quelques années plus tard. Elle aimait celle où il posait devant la maison de Mallorca et où il ressemblait tellement à l'artiste avc un grand A. Il portait
une chemise à carreaux débraillée sur un jean et, au pied, une paire d'espadrilles. Son nez aquilin, son regard aigu et son visage découpé de façon anguleuse disait déjà qu'il ne serait pas un homme ordinaire.
Mameth se dit qu'elle l'avait aimé follement et que si très vite ils ne s'étaient plus supportés, ça n'avait au fond aucune importance. Il restait cette photo pour lui dire qu'elle avait eu la chance de rencontrer un jour un homme exceptionnel. Et puis elle sortit du lot, une photo d'elle qui l'a fit blémir. Elle était en Grèce, avec Laurette et Jean, tous les trois assis sur le rebord d'un muret, avec la mer derrière eux. Elle se souvint tout de suite de ce coin idylique, du camping et de Yannis. Elle farfouilla dans le tas et sortit la photo qu'elle cherchait. Elle et Yannis debout, se tenant par le cou, sur la petite digue qui avançait dans l'eau et où était amarée une barque.
Yannis aussi était un beau type. Un précurseur sans doute de La Luppa, le même genre. Terriblement masculin avec une tendresse mal contrôlée.
Mameth se souvint alors forcément de cette nuit où elle rentra ivre du village et où elle le trouva sur son chemin, trempée jusqu'à la moëlle à cause de l'orage qui s'était déversé sur l'île. Elle se demanda ce que ce Yannis avait bien pu devenir avec sa jolie petite femme fragile, toute vêtue de noir, les traits tirés par la fatigue, un deuil et la
présence de son bébé. Soudain, elle s'en voulait terriblement d' avoir dépossédé cette femme de son mari un soir de griserie. Elle n'y avait jamais pensé avec autant de force. Jamais elle ne s'était sentie aussi stupide et coupable. Elle chassa cette pensée étouffante et voulut se consoler en se disant que Yannis devait, comme elle, se faire vieux auprès de cette femme qui avait appris à se faire indispensable et s'était certainement affirmée. Mameth imagina Irina, plus mince qu'elle, ayant su garder ce port de tête si délicat et élégant qu'elle avait lorsqu'elle s'adresssait à quelqu'un. Pourquoi donc, aujourd'hui, Mameth se souvenait-elle tant de la femme de Yannis dont elle avait fait si peu de cas autrefois ? Yannis tout à coup, ne semblait avoir eu
aucune importance si ce n'est qu'il était marié. Mameth sentit alors, avec mépris, toute la légéreté de sa jeunesse débridée. Elle avait souffert et n'avait rien trouvé de mieux que de faire souffrir les autres. Comme une repentance, elle espérait maintenant que Yannis et sa femme soient devenus une famille unie, à l'abri des hordes de touristes que les années avaient déversées. Mameth espérait que son passage n'avait été qu'un grain de sable douloureux, vite digéré et amalgamé par la
force de la vie. Elle referma la boîte au dragon, ouvrit les persiennes, laissa entrer le soleil de fin d'après-midi et vit arriver Ursule avec des outils de jardin dans une main et son téléphone portable dans l'autre qu'elle brandissait comme une arme :
- J'ai eu ta fille au téléphone ! Parait-il que le tien répond pas... Attends je monte parce
que j'ai pas envie que tu dégringoles par la fenêtre... On est quand même une famille de branquignols !
- Oui c'est possible que la batterie soit à plat... Qu'est ce que tu mijotes encore?
La silhouette d'Ursule s'encadra rapidement dans l'embrasure de la porte. Elle n'entra pas dans la chambre et s'adressa de loin à sa soeur :
- Chloé se marie. En Inde. Avec un Indien.
- Ah oui ! Soupira Mameth qui venait à peine de sortir de ses aventures peu glorieuses.
- C'est tout l'effet que ça te fait ?... Tu vas pas me faire un infarctus ?
- Ben ça me fait l'effet d'une fille qui n'en a rien à tamponner de sa mère ! Voilà! Ca provoque des infarctus, ça ?
- Ah non! Tu ne vas pas recommencer....
- Non, au fond, je suis contente pour elle. C'est ce qui pouvait lui arriver de meilleur.... 

- T'as pas une bouteille de quelque chose au frais qu'on fête ça.
- Mais si...
- Eh ben va la chercher qu'on savoure ça, ici, dans le saint des saints !
Ursule redescendit. Mameth la regarda s'éloigner dans l'allée en souriant.
A Mallorca, les nouvelles tombaient comme des flèches empoisonnées mais la maison l'abritait de tout. 


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